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Afrique/Entrepreneuriat agricole : « On est loin du compte », dixit Dr. Kouamé R. Oussou

L’agriculture représente 4,3% du produit intérieur brut (PIB) mondial (Banque mondiale, 2021). Elle est facteur essentiel de croissance économique. Malgré le fort potentiel du secteur primaire, moins de jeunes africains s’y intéressent au profit de la fonction publique elle par ailleurs de plus en plus saturée. L’entrepreneuriat agricole en Afrique laisse à désirer, repoussant, pour certains, les jeunes diplômés voulant s’y engager. Dr. Kouamé Rémi Oussou, enseignant-chercheur au département de sociologie et anthropologie à l’université Alassane Ouattara-Bouaké (Côte d’Ivoire), qui a travaillé entre autres au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estime qu’« on est loin du compte ». Dans cet entretien accordé à Agratime, il jette un regard sociologique sur la question et propose des pistes pour rendre attractif le secteur agricole africain. Lisez plutôt!

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Agratime : « Aller longuement à l’école et revenir à la terre, jamais ». L’on entend ça souvent en Afrique. Qu’en pensez-vous ?

Dr. Kouamé Rémi Oussou : Une telle phrase n’est si étrange que cela et je dirais même qu’elle pourrait sortir de la bouche de n’importe quel étudiant en passe d’obtenir son diplôme. Cela est dû au fait qu’on prépare l’apprenant à un type spécifique de rôle, notamment la fonction publique. Cette idée de vouloir ou pouvoir servir son pays en passant par les concours de la fonction publique est si ancrée dans l’imaginaire populaire des apprenants que nul d’entre eux ne forme d’objectif ni de projet professionnel en dehors de ce canevas.

Eu égard à la grande corruption, il y en a même qui vont jusqu’à dire qu’ils vont « cotiser de l’argent » pour payer le concours à la fin de leurs études. Et lorsque plus rien ne marche, le diplômé préfère s’adonner aux petits boulots que de retourner à la terre, processus inverse qu’il considère comme un échec.

On se rappelle qu’au début des années 90, la Côte d’Ivoire avait instauré le programme de « Retour à la terre » mais cette initiative ne reçut aucun écho de la part de jeunes. Or, ce fut une erreur de leur part car un diplômé ne pratiquera jamais l’agriculture comme un non-diplômé d’autant plus que sa formation lui a permis d’acquérir certains réflexes intellectuels qui vont lui permettre de considérer chaque situation à la lumière des compétences acquises lors de son cursus universitaire. Par exemple, avec Internet, le diplômé cherchera à anticiper la météo et opter pour les cultures qui peuvent s’accommoder des conditions climatiques ambiantes et non s’adonner aux mêmes cultures habituelles.

Comment appréhendez-vous l’entrepreneuriat agricole en Afrique ?

Si on postule que l’entrepreneuriat agricole est « produire, transformer et commercialiser ses produits agricoles», alors on est loin du compte avec ce qui se passe actuellement dans la plupart des pays africains.

Bien que l’Afrique soit connue comme étant le continent pourvoyeur de matières premières agricoles et minérales, le triste constat est qu’il demeure producteur et exportateur de ces denrées qui vont alimenter les unités de production des pays industrialisés.

Pour en revenir à la question, il faut d’emblée noter quelque chose qui constitue un obstacle peut-être majeur à l’épanouissement économique de l’Afrique, la désarticulation des secteurs. Si l’histoire nous apprend que la Révolution industrielle est partie de la Révolution agricole, en Afrique, les trois (3) secteurs (primaire, secondaire et tertiaire) se côtoient allègrement, avec une certaine prépondérance pour le secteur tertiaire, au lieu que ce soit l’évolution de l’un qui entraîne l’autre, de sorte que les jeunes, plutôt que de se tourner vers les métiers liés à l’agriculture, c’est le secteur tertiaire qui les attire le plus simplement parce qu’ils préfèrent rester en ville que dans les campagnes.

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Comment améliorer alors l’attractivité du secteur agricole ?

Pour améliorer le secteur agricole, il faudra investir dans la recherche agricole, dans les infrastructures rurales comme les routes, construire des sites de stockage et de traitement des produits agricoles, des marchés, des systèmes de communication et des réseaux d’approvisionnement fiables pour les agriculteurs.

Par ailleurs, il faudra créer, en amont, les conditions matérielles pour faciliter la vie, surtout des jeunes, dans les zones rurales car ces investissements leur sont essentiellement destinés, in fine.

Plusieurs facteurs concourent à l’attractivité du secteur agricole, mais les axes principaux que les autorités étatiques doivent nécessairement améliorer pour susciter l’attrait des jeunes pour le secteur agricole sont principalement la formation, le financement, le niveau de salaires, l’accompagnement, le logement, le transport et la valorisation des métiers du secteur agricole.

Qu’en est-il de la part des innovations techniques et technologiques ?

Les technologies sont d’un apport indéniable non seulement dans la production et la productivité, mais encore sur la vie des agriculteurs. On se rappelle que des innovations techniques comme la charrue, l’irrigation, les moulins, l’assolement et les engrais ont contribué à l’amélioration des rendements agricoles et le niveau nutritionnel des populations. Et ce sont tous ces éléments et beaucoup d’autres qui ont généré la révolution agricole qui, plus tard, conduira à la révolution industrielle et à la société de consommation actuelle.

Aujourd’hui, avec internet et la réalité virtuelle, via des satellites et des drones autonomes, les agriculteurs peuvent avoir « un regard plus holistique sur leurs fermes et la capacité de vérifier la santé de leur bétail. »

Enfin, il faut mentionner que « les technologies numériques peuvent faciliter les échanges de produits agricoles et alimentaires en reliant des fournisseurs privés à de nouveaux marchés et en offrant aux pouvoirs publics de nouveaux moyens de surveiller et de faire respecter les normes… »

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On a coutume de dire que la terre ne ment jamais. Les changements climatiques n’ont-ils pas bouleversé les certitudes et aggravé la réticence des jeunes ?

On peut effectivement concevoir que les bouleversements causés par le réchauffement de la planète aient nourri la suspicion des jeunes à l’égard des métiers agricoles mais, il y a lieu de préciser que l’hostilité de la jeunesse vis-à-vis de ce secteur n’est pas récente. Elle est liée à la politique agricole mise en place depuis le début des années 60 et même avant l’accession à la souveraineté nationale de la plupart des pays africains colonisés.

Pour prendre l’exemple concret de la Côte d’Ivoire, dont le PIB est basé à 40% sur l’agriculture. On sait que pour les besoins de main-d’œuvre agricole, les colonisateurs ont eu massivement recours à la main-d’œuvre étrangère venant essentiellement de l’ancienne Haute-Volta (aujourd’hui Burkina-Faso).

Plus tard, à l’indépendance, cette politique n’a pas changé de sorte que même si, à la faveur de certains grands projets, comme l’Aménagement de la Vallée du Bandaman (AVB) ou l’Autorité pour l’aménagement de la région du Sud-ouest (ASRSO) ou encore les complexes sucriers, les Ivoiriens occupaient les hauts postes de direction, les ouvriers agricoles étaient composés en majorité d’étrangers.

Par ailleurs, il y a la création de diverses institutions de formation aux métiers agricoles, des services ainsi que des départements ministériels dédiés au secteur, mais la plupart de ceux qui y sont formés ou occupent les postes dans ces ministères sont des fonctionnaires technocrates qui n’ont aucun rapport concret avec les métiers de la terre.  Il a fallu l’avènement de la conjoncture économique et subséquemment les programmes d’ajustement structurel pour que les autorités conçoivent la « politique de retour à la terre » qui, d’ailleurs, n’a pas marché.

Comment convaincre le jeune diplômé à entreprendre en agriculture pendant que pour la plupart des parents sur le continent, devenir agriculteur serait une malédiction pour leurs enfants dont ils ont envisagé un avenir dans la fonction publique ?

Il y a que les métiers agricoles véhiculent une image négative et d’échec pour les parents qui envisagent des métiers dits nobles pour leur progéniture, mais c’est parce qu’à la base le secteur n’est pas valorisé en termes d’image, d’infrastructures et de salaire. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, un autre problème se pose avec une certaine acuité, c’est celui de l’accès à la terre. Alors, pour convaincre le jeune diplômé de retourner à la terre, il y a deux leviers essentiels sur lesquels les autorités doivent jouer.

D’une part, il faut convaincre les jeunes de s’orienter dans ce secteur lors du choix de filières de formation en vulgarisant beaucoup d’informations sur le secteur par le biais de conférences, d’ateliers et de partages d’expériences d’entrepreneurs agricoles ayant réussi afin d’inspirer et de motiver ces jeunes, et même organiser des concours d’innovation agricole, etc. (Push Factors). D’autre part, l’Etat devra rendre le secteur attractif (Pull Factors) mettre en place toutes les conditions, y compris les infrastructures, l’accompagnement, le financement et même parfois des allègements fiscaux.

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C’est qui l’entrepreneur agricole : un Homme sale dans un champ perdu au milieu du monde rural ?

De par son métier lié à la terre, on aurait tendance à valider l’idée que l’entrepreneur agricole est « un Homme sale dans un champ perdu au milieu du monde rural» mais, en réalité, ce ne sont pas tous les métiers agricoles qui exigent que l’on soit en contact direct avec la terre.

En effet, si l’entrepreneur agricole se définit comme le « dirigeant d’une entreprise qui commercialise surtout des produits provenant de l’agriculture et de l’élevage », l’entrepreneur agricole est tout sauf « un Homme sale dans un champ perdu au milieu du monde rural » car il y a de multitudes activités liées au domaine agricole mais qui ne sont pas « salissantes ». C’est par exemple, l’aquaculture, conduite de machines agricoles, conseil agricole et le contrôle de performance.

L’Afrique, le futur de l’agriculture mondiale selon vous ?

Une révolution verte en Afrique ? A la lumière des faits qui menacent le continent (effets accentués du réchauffement climatique, sécheresse et inondations à répétition, famine, etc.), on peut douter du sérieux de la question.

Toutefois, une bonne politique agricole fondée sur l’entrepreneuriat des  jeunes est susceptible de contribuer à l’atteinte de deux objectifs majeurs, accroissement de la productivité et l’autosuffisance alimentaire, facteurs sine-qua-non pour espérer exporter le surplus.

Votre mot de la fin.

L’idée que la terre nourrit son homme est toujours d’actualité, même parmi la jeune génération, mais il faudrait, pour cela, que les conditions minimales, à l’exemple de la revalorisation des métiers du secteur, la formation, l’accompagnement et le financement, soient réussies.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

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