Dans un entretien à nous accorder au cours de la 18ᵉ conférence annuelle du cajou, Ibrahim Sanfo, nouveau président élu pour cinq ans à la tête de l’Alliance Africaine du Cajou (ACA) et président de l’interprofession anacarde du Burkina Faso, partage sa vision pour un secteur de l’anacarde durable. Il fait d’abord le point sur l’état de la filière au pays des Hommes Intègres avant d’appeler à l’harmonisation des politiques entre les pays africains et à l’augmentation des revenus des producteurs pour renforcer la filière face aux défis de la déforestation et de la concurrence internationale.
Agratime : Vous venez de participer à une séance plénière sur la « promotion de la durabilité environnementale dans le secteur du cajou », que peut-on retenir ?
Ibrahim Sanfo : Notre session, c’est sur la durabilité de l’environnement dans le milieu de la production de l’anacarde. Depuis un certain temps, on parle beaucoup de déforestation dans les milieux agricoles. Le thème était pour voir si la culture de l’anacarde, à l’image d’autres cultures, est également susceptible de contribuer à la déforestation. Donc l’analyse que nous faisons de cette situation, c’est que l’anacarde qui a été introduite dans nos différents pays pour lutter contre la déforestation, ne peut pas être en même temps à l’origine de déforestation. Mais par contre, nous avons compris qu’il faut vraiment travailler à rendre le secteur durable, dynamique, compétitif en appuyant beaucoup les producteurs et en les permettant d’augmenter les revenus. Parce que les producteurs qui sont en amont, si on travaille à augmenter les revenus, ça va les encourager, ça va les motiver à rester dans la production et on aura un secteur durable.
Comment se porte la filière anacarde au Burkina Faso ?
Au Burkina, l’anacarde est à l’image des autres pays. Vous savez, l’anacarde, l’Afrique produit aujourd’hui plus de 60% de la production mondiale. Mais en réalité, si ce n’est pas parce que la Côte d’Ivoire est le leader dans la production, la question de consommation, la question de transformation, la question du marché, on ne détermine rien. Donc c’est des éléments qui ne permettent pas à la filière de prendre son envol. Donc au Burkina, comme dans tous les pays producteurs d’ailleurs, il faudrait qu’avec l’appui du gouvernement, nous arrivions à prendre des mesures courageuses pour que les unités qui sont déjà installées pour la transformation puissent avoir la matière première en abondance, une matière première des qualités et des quantités. Cette année, la campagne a commencé avec des prix de 350 francs CFA. Et à l’heure actuelle, les prix sont autour de 600-625 francs le kilo. Il faut aussi qu’on incite notre population à la consommation locale. Parce qu’aujourd’hui, l’Inde a détrôné, parce que c’est le premier pays consommateur mondial. Ils produisent, ils sont deuxièmes pays producteur, voire troisième pays producteur mondial. Leur quantité, ça ne les suffit pas. Et ils exportent en Afrique de l’Ouest pour aller transformer, pour consommer encore.
Selon vous, comment les pays africains producteurs d’anacarde peuvent-ils mutualiser leurs efforts pour établir un système de productivité fiable et un marché commun d’écoulement ?
Aujourd’hui, il faut travailler à harmoniser les politiques dans le secteur de Cajou, surtout en Afrique de l’Ouest. Parce que ça et là, chaque pays essaye de prendre des mesures protectionnistes pour protéger son secteur. Mais tant qu’on n’harmonise pas ces politiques, vu que nos frontières sont poreuses, on va encourager la contrebande, on va encourager la fraude.
Donc il faut qu’on travaille à harmoniser ces politiques pour pouvoir rendre nos filières dynamiques. Mais aussi, il faut qu’on regarde l’aspect production. Parce que c’est très important de garantir un prix minimum au producteur. Ça l’encourage.
Parce qu’aujourd’hui, on ne pourra pas parler d’autres chaînes, on ne peut pas parler de marché, on ne peut pas parler de transformation s’il n’y a pas de production. Donc ça veut dire que le producteur doit être encouragé à fond. L’État doit beaucoup travailler sur la recherche pour que nous puissions augmenter les rendements dans nos vergers. C’est des mesures comme ça que nous devons adopter dans nos pays.
Au Burkina Faso, quel place occupe l’interprofession dans la filière anacarde ?
L’interprofession, il faut dire que c’est un cadre de concertation des différentes familles d’acteurs de la filière, la chaîne de valeur, et qui est aussi l’interface entre le secteur privé et l’État. Parce que si l’État doit avoir un interlocuteur avec qui il faut échanger sur les politiques sectorielles concernant la filière, il s’adresse à l’interprofession. C’est à l’interprofession de recueillir les préoccupations à la base auprès des acteurs des différents maillons : production, transformation et même exportation. Donc l’interprofession joue un rôle capital. C’est un rôle catalyseur.
Le 30 août dernier, un atelier a été organisé au Burkina Faso pour valider la stratégie nationale de développement de la filière anacarde (SNDFA II). Quel est le bilan de la première phase et quelles décisions ont été prises pour la deuxième phase (2025-2029) ?
En réalité, la stratégie était à terme. Donc il fallait faire le bilan, voir ce qui n’a pas marché et puis, en fonction du contexte du moment, adapter la stratégie au besoin du moment. Maintenant, il faut dire que dans la mise en œuvre de la stratégie, il y a eu beaucoup de difficultés. Il y a eu la question du financement qui était là. Sans financement, rien ne peut bouger. Maintenant, nous avons le Conseil Burkinabé de l’Anacarde, qui a décidé de porter la stratégie, qui a décidé de financer une partie de la mise en œuvre de la stratégie. Cette partie porte sur l’augmentation de la production. Aujourd’hui, le Burkina a une production de 200 000 tonnes. Au niveau de l’interprofession, nous avons une vision d’amener la production à 500 000 tonnes à l’orée 2033. Donc, ça sera financé par le Conseil Burkinabé de l’Anacarde à travers les ressources de prélèvement sur l’exploitation de la noix. Mais il y a aussi l’amélioration de la qualité à travers les bonnes pratiques agricoles, la maîtrise des itinéraires techniques agricoles, la dotation des producteurs des plans greffés améliorés. Il y a aussi la question de la transformation qui n’est pas occultée. Aujourd’hui, nous avons au Burkina une vingtaine d’unités de transformation. Et au niveau de la transformation, la chaîne de compétitivité est très rapide. Il faut permanemment suivre ces industriels, les mettre au niveau pour pouvoir augmenter le taux de ratio dans les usines de transformation. Donc la stratégie tient compte de tout ça. Mais aussi le volet marché parce que ce qu’on produit pour le moment au Burkina, on a une transformation estimée à 10 à 15 % de la production nationale. Ça veut dire que 85 % là, il faut trouver un marché. Donc il y a la question aussi de marché qui est là, et avec la négociation des contrats avec de nouveaux partenaires.
Pour terminer cet entretien, pourriez-vous parler de votre rencontre avec le ministre de l’agriculture le 4 septembre dernier ? Quels ont été les principaux sujets de vos échanges ?
Oui, notre rencontre du 4 septembre avec le ministre de l’agriculture, là c’est de façon globale, c’est le monde rural. Parce que je suis aussi le président de l’ensemble des interprofessions du monde rural. Donc notre rencontre avec le ministre de l’agriculture, c’était de lui présenter les difficultés que le monde rural burkinabé rencontre. Comme c’est un ministre très dynamique, que je le salue de passage, c’était lui présenter nos difficultés en vue de les solutionner. Et nous avons marqué notre disponibilité à l’accompagner, et il nous a beaucoup écouté, et il nous a aussi rassuré que nos difficultés ont été prises en compte, ainsi que la proposition des solutions. Et dans les jours à venir, ensemble sur le terrain, nous allons essayer d’avancer.
Propos recueillis par Auriol HOUDEGBE