Si la filière anacarde connait quelques progrès au Bénin, il n’en demeure pas moins que plusieurs défis restent à relever. La valorisation des pommes de cajou reste par exemple une difficile équation à résoudre. Isdine Assouma, agronome forestier et producteur de cajou revient ici sur les défis de la filière. Lisez plutôt !
Agratime : Merci de vous présenter.
Isdine Assouma : Je réponds au nom de Isdine Assouma. Je suis agronome forestier, technicien en aménagement et gestion des forêts et parcours naturel. Je suis aussi producteur de noix et de pommes d’anacarde à Swamikrouma, un village de l’arrondissement de Bensékou situé à 35 kilomètres de la commune de Kandi.
Vous êtes producteur de noix de cajou. Quelle superficie emblavez-vous, pourquoi cette spéculation et non pas le coton par exemple ?
Mon exploitation s’étend sur 25 hectares environ. Pourquoi mon choix pour la production de noix de cajou ? D’abord parce que je suis un passionné d’agroforesterie et d’agroécologie. Quand on parle d’agroécologie, on parle de restauration des terres, de la préservation de la biodiversité, de lutte contre le changement climatique. Donc à travers ces avantages de l’agroforesterie, j’ai beaucoup plus opté pour l’anacarde au détriment du coton.
En effet, quand on parle de coton, on parle d’intrants, de pesticides, d’engrais minéraux. Tous ces facteurs-là engendrent le déclin de la biodiversité, l’effondrement des sols. Raison pour laquelle j’ai choisi la production de noix de cajou. Une activité aussi moins tracassante que le coton. La filière coton actuellement au Bénin, on sait ce qui s’en suit : crédits agricoles, prestations de services, etc. Il y a beaucoup de choses qui sont autour de cette filière.
Parlez-nous un peu de vos défis quotidiens et difficultés de la production à la commercialisation.
L’anacardier est un arbre fruitier comme tous les autres. Pour ses fruits, ses noix de cajou qui sont riches en nutriments et en protéines. A travers ces exploitations ou productions, nous rencontrons beaucoup de défis, de problèmes et de difficultés au quotidien. D’abord, dans le cadre de la production, je peux déjà parler de l’entretien. C’est une activité très difficile dans les exploitations d’anacardier. Quand je parle d’entretien, je parle de désherbage, d’élagage voire de fertilisation biologique.
Nous rencontrons aussi un problème au niveau du suivi. Des cas de vandalisme par exemple dans les exploitations, les feux de brousse occasionnés souvent par des chasseurs malhonnêtes. Les anacardiers sont des arbres très fragiles, sensibles aux maladies et également aux insectes sans oublier les feux de brousse.
Concernant la commercialisation, nous rencontrons également beaucoup de problèmes. Nous avons les prix qui fluctuent, tantôt à 250 FCFA, tantôt à 275 FCFA, tantôt à 300 FCFA le kilogramme. Il y a également un marché d’écoulement restreint. En effet, cette année, le gouvernement a pris des mesures concernant les exportations au Bénin. Et nous ne pouvons plus exporter hors du pays nos noix d’anacarde. Hors, les prix nous arrangeraient beaucoup plus à l’extérieur.
Les agrégateurs achetaient les noix d’anacarde à de bons prix. Voilà que le gouvernement a maintenant limité les exportations, interdit d’ailleurs l’exportation de ces produits-là hors du pays. Le prix que le gouvernement nous propose également ne nous arrange pas. Par exemple, cette année, la Société d’investissements et de promotion de l’industrie (Sipi-Bénin) n’a pas trop tranché sur la commercialisation de noix d’anacarde tel que c’est en train d’être fait pour le soja. Nous savons que les noix d’anacarde sont des produits qui perdent rapidement le poids. Donc le stockage doit être suivi.
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On peut transformer les pommes de cajou en jus, vinaigre, etc., pourtant vous avez récemment évoqué la difficulté à valoriser cette partie du produit. Qu’est-ce qui peut expliquer cet état de chose ?
Le ratio entre la pomme et la noix de cajou est de plus de 10. Ce qui signifie que la pomme pèse dix fois plus que la noix de cajou. Voyez un peu le nombre de tonnage de pommes de cajou que nous gaspillons. Nous savons également que ces pommes-là peuvent être transformées en alcool, en vin, en confiture et autres produits dérivés. Mais nous rencontrons un problème dans la transformation de ces pommes-là.
Ce qui peut l’expliquer, je pense qu’il y a un manque d’appui technique du gouvernement vis-à-vis des producteurs de noix d’anacarde concernant la transformation de pommes de cajou. Il y a aussi la faiblesse de campagne de sensibilisation et le manque de mesures d’accompagnement. Par exemple, moi je rencontre un manque de financement pour l’installation d’une unité de production de jus de pommes d’anacarde.
Que proposez-vous pour que les pommes de cajou ne soient plus jetées après être pourries?
Le gouvernement, à travers le Projet d’appui à la compétitivité des filières agricoles et à la diversification des exportations (Pacofide), a déjà su accompagner depuis l’année dernière les producteurs concernant l’entretien et le suivi des exploitations d’anacardier. Par exemple moi j’en ai bénéficié l’année dernière dans mon exploitation. Le Pacofide m’a aidé à faire l’élagage et l’entretien des plants d’anacardier. Je pense que le gouvernement, à travers ce même projet, pourrait inciter les producteurs à valoriser la pomme d’anacarde.
Il s’agira de les appuyer techniquement sur des méthodes de transformation des pommes. Il ne suffit pas d’avoir le matériel, les machines et tout pour transformer ; il faut savoir transformer. Il y a donc cet appui technique-là que le gouvernement doit favoriser envers les producteurs d’anacarde. Aussi, les partenaires techniques et financiers doivent également appuyer les milieux ruraux à valoriser leurs propres produits. Tout cela évitera beaucoup de phénomènes comme l’exode rural et la déperdition scolaire dans les milieux ruraux.
Chaque producteur devrait commencer par conserver ses pommes de cajou afin d’opter ne serait-ce que pour une transformation traditionnelle, c’est-à-dire avec les méthodes usuelles. Le gouvernement devrait aussi accompagner les milieux ruraux à travers l’implantation des unités de transformation dans chaque zone afin d’aider ces producteurs-là à conserver leurs pommes et puis les transformer.
C’est rare de voir des jeunes s’intéresser à l’agriculture, vous faites l’exception. Que faut-il à un jeune, selon vous, pour prospérer dans le domaine agricole, surtout dans la chaîne de valeur de l’anacarde ?
Il y a de ces expressions qui m’ont beaucoup motivé dès tout petit à m’intéresser vraiment à l’agriculture. Par exemple celle qui dit : « Semer la graine où elle est susceptible de pousser ». Egalement cette expression courante : « La terre ne ment pas. On ne récolte que ce qu’on sème ». Donc dès le bas âge, je me suis vraiment intéressé à l’agriculture parce que mon père avait vraiment un engouement pour cette activité-là.
Petit à petit, je suivais ses pas et aujourd’hui j’en tire les bénéfices. Je pense que quand on est jeune, il faut commencer par s’intéresser aux activités rurales. Avant de commencer, essayez d’obtenir au moins un demi-hectare pour un essai expérimental. Aujourd’hui dans des villages, un demi-hectare peut être acquis avec 100.000 FCFA. Donc, commencez dès tout petit et prospérez après.
Je pense que le Pacofide est en train d’accompagner la filière anacarde à travers la plantation des plants d’anacarde subventionnés à 100 FCFA le plant au lieu de 700 FCFA. Le gouvernement veut appuyer cette filière-là à aller de l’avant. On peut donc s’octroyer déjà ces plants sur un hectare, à savoir 100 plants qui vont coûter 10.000 FCFA. Il faut planter, entretenir et suivre, ce n’est pas un hasard.
La filière anacarde nécessite beaucoup de suivi du fait de la sensibilité des plants. Elle ne demande certes pas assez d’investissement : il faut s’octroyer des terres, acheter des plants, les planter, respecter les écartements, les entretenir et les suivre. Je pense que la promotion de l’anacarde et ses produits dérivés doivent être une approche filière qui prenne en compte la production, la récolte, la collecte, le traitement post-collecte, la transformation et la commercialisation.
Beaucoup d’efforts restent à faire surtout dans la sensibilisation des agriculteurs de la communauté rurale par rapport à l’impact économique de la valorisation des pommes de cajou.
Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON
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