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Tomate : La crise de 2019 se profile-t-elle à nouveau ?

Le mois d’août est une période généralement associée à l’abondance de tomates fraîches sur les marchés de Cotonou. Alors que les commerçants s’attendaient à une baisse de la disponibilité en raison des prévisions pluviométriques, ils doivent désormais s’adapter à une abondance inattendue, laissant craindre une répétition de la crise de 2019.

Un mercredi ensoleillé du mois d’août, sur le site de débarquement en face du CEG Dantokpa, Koudous, un grossiste, est assis, pensif, devant une dizaine de paniers remplis de tomates. Depuis 4 heures du matin, il n’a rien vendu, bien que ses produits soient encore frais. « On a l’impression que tout le monde a des tomates chez lui », ironise une vendeuse près de lui.

Tout comme à Dantokpa, on assiste au même spectacle désolant dans les marchés de Zongo et Vèdoko. Des étalages de tomates s’étendent à perte de vue, et les acheteurs se font rares. L’atmosphère est morose, et les visages des commerçants sont fermés devant leurs étalages débordant de tomates rouges éclatantes sous la lumière du jour.

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De la gauche vers la droite, des tas de 200 et 100 FCFA à Zongo

Les commerçants de tomates en proie à la surabondance

Acculés il y a quelques semaines par la demande, alors que le fruit se vendait à prix d’or, ces commerçants semblent aujourd’hui désœuvrés. Une abondance qui aurait dû être une bénédiction ne l’est finalement pas pour eux. « Il y a encore deux mois, la tomate pomme rouge coûtait entre 70 000 et 90 000 FCFA le panier. On vendait une seule tomate à 200 FCFA, et trois pour 500 FCFA », se souvient dame Irène, vendeuse au marché de Vèdoko.

Au Bénin, la tomate est cultivée toute l’année, notamment pendant la grande saison pluvieuse qui s’étend de juin à octobre au Nord et d’avril à juillet au Sud. En dehors de cette grande saison pluvieuse au Sud, la tomate est également cultivée durant la petite saison pluvieuse de septembre à novembre, ainsi que pendant la période de contre-saison, qui s’étend d’octobre à janvier au Nord et de novembre à février au Sud (Mensah A. C. G. et al., 2019).

Pendant ces périodes de faible production, la demande locale est comblée par des importations du Burkina Faso, du Nigéria, du Togo et du Ghana. C’est donc le moment de vendre les tomates produites au Bénin, mais les marchés sont confrontés à un excédent, car l’offre dépasse largement la demande. Pour 2023-2024, la production est estimée à 279 466 tonnes, selon la Direction de la Statistique Agricole (DSA).

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La tomate pomme rouge

Une culture hypersensible aux conditions climatiques

Selon une analyse du ministre béninois de l’Agriculture, Gaston Dossouhoui, lors d’une conférence de presse en juillet 2024 sur le programme spécial pour intensifier les productions maraîchères et céréalières, la sécheresse de fin décembre à mai au Bénin affecte la production de tomates, rendant les fruits rares et chers. La chaleur excessive empêche les tomates, notamment la variété mongal, de fleurir correctement.

En comparaison, bien que le Burkina Faso soit un pays sec, son climat est tempéré de janvier à mars, permettant une meilleure production durant cette période. Cependant, à partir de mars, la chaleur intense au Burkina Faso complique également la production de tomates, rendant nécessaire pour le Bénin d’exporter vers ce pays.

Ainsi, la culture et la disponibilité de la tomate varient en fonction des conditions climatiques et de la production locale fluctuante. La pluviométrie a un fort impact sur la production et influence également le prix d’achat. Bien qu’ils soient informés de cette réalité, les commerçants ne s’attendaient pas à une telle disponibilité.

« On nous avait dit qu’il n’y aurait pas de pluie cette année, que les producteurs avaient souffert et que la récolte serait mauvaise, mais la quantité de tomates que l’on trouve nous dit le contraire. Il y en a tellement que le tas vendu à 2 500 FCFA il y a deux mois est à 500 FCFA aujourd’hui », confie Maman Junior, commerçante à Zongo.

Émergence d’une concurrence inattendue

« Nous avons trop de tomates et pas assez d’acheteurs. Quand il y en a en abondance, les consommateurs sont contents, mais cela nous désavantage », se lamente une commerçante au marché de Zongo. Au lieu d’augmenter, les ventes stagnent. « Ce que nous laissons à 2 500 FCFA, voire 3 000 FCFA aujourd’hui, se vendait à 35 000 FCFA il y a quelques mois », renchérit Victorine Goudjo, grossiste à Tokpa.

Pendant ce temps, on observe l’émergence de jeunes commerçants. La rentrée scolaire approche, et la chute des prix a poussé de nombreux jeunes à se lancer dans la vente de tomates pour aider leurs familles ou se faire un peu d’argent. Dans les allées des marchés, il n’est pas rare de voir des enfants avec de petits paniers, tentant de vendre quelques tomates pour quelques francs. Cela ajoute à l’offre déjà saturée et renforce la concurrence entre les détaillants et ces vendeurs occasionnels. Dans cette ambiance d’inquiétude, un nouveau défi se profile.

Prévenir la crise de 2019

Pour de nombreux consommateurs, cette situation est idéale. Toutefois, elle soulève un problème de conservation pour les producteurs, les commerçants, et les consommateurs.

Pour mémoire, la fermeture des frontières du Nigéria en 2019 a révélé un véritable problème de gestion post-récolte de la tomate. Dans divers pôles de production tels que Grand Popo et Sèmè Podji, ainsi que dans d’autres marchés spécialisés, de grandes quantités de tomates ont été perdues en raison de la mévente et de l’absence d’une industrie locale de transformation pour une conservation plus longue. Plusieurs années plus tard, de nombreux producteurs et commerçants se souviennent de ces jours sombres, qui pourraient se reproduire vu l’état des lieux sur les marchés.

L’une des solutions serait de promouvoir la transformation des tomates en concentré, en purée, en poudre, etc., pour une conservation longue durée, voire pour l’exportation. « Il est important de savoir préparer la purée de tomate, d’oignon et de piment lorsque ces produits sont moins chers », explique Dr. Alice Djinadou Kodoura, point focal TARSProPRSA/FSRPIREACH. En attendant, les commerçantes continuent de tenir leurs étals, espérant des jours meilleurs où la demande sera plus forte et les prix plus justes.

Pour rappel, la production de tomates pour la campagne 2023-2024 a connu une hausse de 4,8% par rapport à la campagne précédente, où la production était établie à 266 750 tonnes (DSA).

Auriol HOUDEGBE

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