Au détour du forum sur la révolution verte en Afrique, tenue à Accra du 03 au 06 septembre dernier, sept jeunes entrepreneurs ont été récompensés pour leur projet innovant en faveur de la digitalisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche en Afrique. A l’issue de la cérémonie de récompense de ces lauréats du concours Pitch Agrihack, Ken Lohento, Coordonnateur de programme senior sur les TIC et l’Agriculture du Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) s‘est félicité de la croissance des startups et des solutions innovantes qu’elles apportent aux besoins de l’agriculture africaine. Entretien.
AGRATIME : Quelle a été votre contribution à l’AGRF 2019 ?
Ken Lohento : Cette année, nous avons organisé la 4èmeème édition de notre concours Pitch Agrihack ; un concours qui a pour ambition de promouvoir l’accélération de l’entrepreneuriat numérique dans le secteur agricole. Ce n’est pas qu’un concours parce qu’après, et même dans le cadre du concours, nous organisons beaucoup de formation et les gagnants bénéficient de différentes opportunités de subventions de mentorat, de promotion, de mise en relation avec de potentiels investisseurs ou des partenaires au développement qui peuvent les appuyer dans leurs activités pour la croissance de leurs entreprises.
Nous avons commencé il y a environ 7 mois en lançant l’appel à candidature des détenteurs de prototypes ou d’applications existantes et qui sont opérationnelles. Nous avons eu à peu près 325 jeunes entreprises au niveau ACP (Afrique, Caraïbes Pacifique) ; nous travaillons avec les jeunes de 18 à 35 ans comme l’a défini l’Union Africaine. Nous avons fait deux rounds de sélection et au final nous avons retenu 22 entreprises que nous avons amenées ici à Accra. Parmi ces entreprises, nous avons 50 % qui sont fondées ou co-fondées par des femmes. Dans le cadre de notre stratégie au CTA, promouvoir les femmes dans l’agriculture et en particulier dans l’entrepreneuriat numérique dans le secteur agricole est un élément stratégique que nous avons commencé à promouvoir depuis l’année dernière dans le projet Pitch AgriHack.
Nous avions débuté les activités par deux jours de formation sur la préparation à l’investissement parce que nous savons que les entreprises numériques ont beaucoup de problèmes pour croitre. On a beaucoup d’entreprises qui existent au niveau micro et qui y végètent souvent sans arriver à devenir de véritables des PME fortes. Et l’une des causes, c’est l’accès au financement et la maitrise de la gestion financière qui font défaut à plusieurs startups. Pour répondre à cette problématique, nous avions organisé avec l’aide d’une institution de capital-investissement une formation sur la préparation à l’investissement. On a rappelé aux jeunes entrepreneurs quelques éléments clés sur le message et l’attente des investisseurs lorsqu’ils sont en face d’un entrepreneur ; quels sont les documents que l’entrepreneur doit présenter et aussi comment il doit préparer ses comptes financiers. Nous avons donc fait des formations sur un certain nombre d’éléments tout en leur montrant les différents types d’investissement qu’on peut avoir.
Qu’est-ce qui a fait la différence entre les 7 lauréats et les autres candidats ?
Premièrement, je pense que c’est le sérieux de ces jeunes entreprises. Je dois d’abord souligner que parmi les 22, à peu près la moitié offre des services au secteur de l’élevage. Et nous avons environ 40 % qui offrent des services dans le conseil agricole. Il y a une certaine variété au niveau des types d’activités que les plateformes ciblent. Il y a donc quelques applications, les meilleurs surtouts qui ont été primées. Ils s’adressent au secteur de la pêche, qui est un secteur que les applications performantes négligent souvent. Nous avons également un prix qui récompense quelqu’un qui travaille dans le secteur de l’élevage. C’est un élément remarquable cette année. On a remarqué que beaucoup d’applications et de plateformes qui ont été primées sont des plateformes qui ne s’adressent pas simplement au conseil agricole comme la plupart le font ou simplement des applications e-commerce. Donc cette année le jury a voulu donner la priorité à l’innovation numérique et aussi à des plateformes ou à des services qui ont une vraie plus-value.
Avez-vous prévu un encadrement pour ces jeunes entrepreneurs pour que leurs applications et plateformes innovantes soient pérennes ?
En effet, comme je le disais ce n’est pas qu’un concours, mais tout un programme qui a plusieurs volets. À titre d’exemple, l’année dernière nous avons sélectionné un certain nombre de gagnants et de bons participants sénégalais au CTA et nous avons signé un contrat avec une entreprise de consultance internationale qui les accompagne sur un an. Ce mentorat a permis de l’avis même de ces jeunes entrepreneurs, de trouver du financement supplémentaire parce qu’ils croisent les investisseurs, ils montrent un plan de croissance bien structuré et prouvent leur maitrise des différents types de financement qu’ils recherchent et qu’ils sont prêts à le recevoir. Donc ce mentorat leur a permis d’avoir du financement auprès de structures internationales ou auprès du gouvernement sénégalais. Au-delà de ça, nous avons invité un certain nombre d’entreprises l’année dernière à participer au forum mondial sur l’investissement. L’objectif c’était qu’elles puissent avoir l’opportunité de rencontrer de potentiels investisseurs ou tout au moins de rencontrer des partenaires qui peuvent leur donner de petits contrats. Il est arrivé déjà que suite à l’organisation de nos rencontres, des finalistes qui ont des services performants aient trouvé des contrats avec des structures. Donc c’est un ensemble de services et d’appui que nous offrons et le concours n’est qu’un instrument d’identification de la jeune entreprise avec laquelle nous collaborons.
Quels outils techniques propose le CTA à ces jeunes entrepreneurs pour mieux impacter les producteurs ?
Nous n’avons pas développé d’outils logiciels techniques en tant que tels mais nous documentons les bonnes pratiques entrepreneuriales qui peuvent être utiles aux jeunes entrepreneurs. Nous avons donc beaucoup de documents qui constituent des guides sur comment il faut mettre en place un modèle économique performant et profitable. Nous mettons tous ces documents à la disposition des entrepreneurs avec lesquels nous collaborons. Plus spécifiquement, pour le secteur digital agricole, nous avons le guide de l’Agripreneuriat numérique et je pense que ce guide est unique au niveau africain. Nous l’avions développé avec une boite de consultants internationaux et lorsque nous faisons des formations, ce sont des outils que nous utilisons.
Nous avons également travaillé depuis le départ avec une trentaine d’incubateurs, nous mettons également à leur disposition ces outils pour que dans les formations qu’ils donnent aux jeunes entrepreneurs, ils puissent leur rappeler les enseignements de ce guide. Et c’est extrêmement important qu’en matière de modèle économique, l’entrepreneur numérique agricole puisse mettre en place quelque chose qui marche. La plupart des entreprises agricoles numériques ne sont pas profitables pour l’instant. Le secteur est nouveau, il y a pas mal de problématique, le producteur en général n’aime pas trop payer. Donc nous avons observé qu’il vaut mieux que l’entreprise ne se focalise pas sur un seul service pour que ses services soient profitables. Donc qu’il y ait des services intégrés qui soient offerts, des services de conseils, des services d’accès au marché y compris l’achat des intrants par exemple.
Le problème c’est que les jeunes entrepreneurs n’ont pas la capacité à la fois opérationnelle de staff, et technique pour mettre en place simultanément plusieurs types de services. Mais la réalité c’est que les entreprises qui marchent le plus sont les entreprises qui mettent en œuvre plusieurs types de services. Cela veut dire qu’il y a une vraie problématique à laquelle il faudrait qu’on s’attèle pour voir dans quelle mesure on peut accompagner davantage ces jeunes entrepreneurs pour qu’ils puissent avoir beaucoup plus de capacités à offrir au moins deux services en fonction des besoins de leurs cibles et de leur plus-value qui puissent répondre aux besoins du marché afin qu’ils aient la capacité de les mettre en œuvre. Ici, nous avons donné à des jeunes finalistes des livres de gestion parce que pour nous, c’est très important qu’ils puissent renforcer la gestion de leur entreprise.
Au regard du parcours des anciens lauréats du concours Pitch Agrihack, avez-vous avez des raisons d’espérer que les agriculteurs deviennent plus réceptifs aux outils numériques ?
Nous sommes persuadés que progressivement nos outils numériques vont être adoptés dans l’agriculture. En 2017 par exemple, treize millions d’Euros ont été investis dans le secteur numérique agricole mais en 2018, cet investissement a été plus que triplé. Cela montre qu’il y a des acteurs du marché qui voient qu’il y a un potentiel qui murit et qui se consolide et donc qu’il faut de plus en plus offrir ces services-là. On a aussi constaté que le nombre de plateforme et d’application augmente et c’est clairement parce que le nombre d’adoption augmente. Nous avons aujourd’hui à peu près 31 millions de producteurs qui sont atteints par les outils numériques. Il y a deux ans, ce n’était pas ce nombre. Quand on suit cette tendance, on voit qu’il y a une évolution. On constate que le marché des TIC pour l’agriculture est d’à peu près 127 millions d’euros. Mais selon les statistiques, dans quelques années ce sera plus de 2 milliards d’euros. Donc il y a du potentiel et il y a de l’évolution dans nos différents pays.
Aujourd’hui, à peu près 50 % de nos populations ont accès au téléphone et avec cela on peut facilement avoir accès aux outils de médias sociaux, donc à une place de marché plus grand en y mettant ses productions pour toucher beaucoup plus d’acteurs. Il y a clairement une évolution et je crois que dans les années à venir il y en aura davantage. Les startups qui sont dans le domaine ont un marché florissant, donc c’est à eux de mettre en place une stratégie entrepreneuriale leur permettant de jouir de la plus-value qu’ils peuvent apporter parce qu’il y a beaucoup d’entreprises qui offrent les mêmes services à ce stade. Beaucoup vont se cannibaliser. Il y a beaucoup d’autres entreprises traditionnelles qui ont beaucoup plus de moyens qui n’étaient pas dans ce domaine et qui en y allant prendront le marché. Donc pour que les jeunes entreprises survivent, il faut qu’elles soient plus innovantes pour avoir une profitabilité à terme. Nous essayons par nos différentes actions de les accompagner dans ce sens.
Est-ce un objectif personnel que vous voulez atteindre avec ces jeunes entrepreneurs ?
Pour l’instant mon ambition principale, c’est de les aider à grandir. Je vois de jeunes entreprises qui croissent et même dans le cadre de Pitch Agrihack, les produits et les services que nous avons en final sont des produits améliorés. Nous avons davantage des startups qui voient leurs revenus augmenter et cela me satisfait. De par ma position au CTA, j’ai l’opportunité d’avoir comme objectif principal d’accompagner ce mouvement et je crois que pour l’instant ça me satisfait.
Propos recueillis par André Tokpon