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COP 28 : le Bénin « a fait du bon travail cette année », Tabaraka Bio Bangana fait le point

Jeune Béninois, Tabaraka Bio Bangana est géographe consultant et activiste engagé pour le climat. Il a fait partie des délégués du Bénin à la conférence de Dubaï de 2023 sur les changements climatiques (COP 28). Ayant pris part en 2022, à la COP 27 à Charm el-Cheikh en Egypte, le secrétaire général de Global Actions, une organisation pour la préservation de l’environnement, estime que la COP 28 a été généralement mitigée bien qu’il reconnaisse que le Bénin ait « fait du bon travail » cette année. Il a fait le point dans cet entretien. Lisez plutôt !

Agratime: Quels sont les éléments clés du bilan mondial de la COP 28 qui différencient cette conférence des précédentes, en particulier par rapport aux engagements de la COP 27 ?

Tabaraka Bio Bangana : De manière générale, il est inscrit dans l’accord de Paris que chaque cinq (5) ans, on doit faire le bilan de la mise en œuvre de l’accord de Paris (Global Stocktake). Cela permet de voir à quel niveau nous en sommes en termes de mise en œuvre des engagements, d’actions climatiques au niveau de tous les pays du monde. Ce Global Stocktake vient aussi en amont pour prévenir les pays que d’ici deux ans, ils doivent renouveler leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Ils doivent pouvoir réviser ça. Et en fonction du niveau de réalisations de l’accord de Paris, ça permet aux pays de renforcer leurs engagements, leurs actions dans leurs CDN qu’ils doivent aussi réviser chaque cinq (5) ans. Donc cette année, nous avons fait le bilan de la mise en œuvre de l’accord de Paris et, en 2025, nous allons faire l’actualisation des contributions déterminées au niveau national. Là, chaque pays va profiter pour renforcer ses engagements et pouvoir se dire : moi, j’étais à 15% d’engagements pour réduire mes émissions de gaz à effet de serre, je vois que les choses ne vont pas comme cela se doit, j’augmente mes engagements de 7% par exemple pour aller à 22% d’engagements de réduction de mes émissions de gaz à effet de serre. L’objectif de l’accord de Paris c’est d’arriver à réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’arriver à la neutralité carbone d’ici 2050. Ça veut dire que d’ici à 2030, on doit pouvoir arriver à faire la moitié, ce qui préoccupe de plus en plus les pays.

Ce Global Stocktake a également abordé les questions en rapport avec toutes les thématiques. On a abordé les questions relatives au plan de travail sur l’adaptation de Glasgow Charm el-Cheikh. De manière générale, le bilan était mitigé, que ce soit au niveau des subventions que les pays riches fournissent aux pays en voie de développement, que ce soit au niveau de la mise en œuvre de manière générale de l’accord de Paris. En effet, il y a des pays qui continuent toujours d’investir dans le fossile. Donc, il y a toutes ces questions-là qui ont rendu la COP mitigée. En termes d’adaptation, lorsque nous prenons le coût d’adaptation, il n’y a que 100 milliards de dollars qui ont été promis depuis Copenhague en 2009. Aujourd’hui, on sent que les besoins en matière de financement de l’adaptation vont jusqu’à plus de 883 milliards de dollars. Il y a donc cet écart et les mécanismes ne sont pas vraiment cadrés.

Le consensus des Émirats Arabes Unis énonce des objectifs spécifiques pour tripler les capacités en énergies renouvelables et doubler l’efficacité énergétique d’ici à 2030. Pouvez-vous mieux expliquer ce consensus et comment ces objectifs seront mis en œuvre ?

L’objectif c’est de pouvoir travailler à quitter progressivement l’utilisation des énergies fossiles parce que, de manière universelle tous les scientifiques s’accordent à dire que ce sont les émissions de gaz à effet de serre qui sont responsables aujourd’hui du réchauffement climatique et on doit pouvoir travailler à quitter ces énergies et aller vers les énergies renouvelables. Le monde a la capacité de pouvoir quitter cela si et seulement si on arrête par exemple les investissements. Il faut savoir qu’il y a beaucoup de centres qui travaillent, par exemple l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA) qui travaille sur les questions de l’énergie renouvelable.

De même, en Égypte, ils ont, dans le désert, une énorme installation de panneaux solaires qui leur permet de satisfaire une partie de la population en matière d’énergie. Lorsqu’on parle du secteur de l’énergie, ça prend en compte aussi le secteur du transport. C’est pour ça qu’on pourra parler de comment est-ce qu’on peut arriver, par exemple, à enlever du marché une grande capacité de véhicules à moteur diesel qui utilisent du carburant. Comment est-ce qu’on peut tripler, par exemple, l’utilisation de véhicules électriques et tout. Donc, tous ces aspects-là sont pris en compte de telle sorte qu’une politique soit adoptée au niveau de chaque pays pour évoluer petit à petit à quitter l’utilisation des énergies fossiles et aller un peu plus vers l’énergie propre, que nous appelons souvent les énergies renouvelables.

Le financement climatique a été un point central. En quoi les nouvelles contributions financières annoncées à la COP 28, notamment le Fonds vert pour le climat, répondent-elles aux besoins des pays en voie de développement comme le Bénin ?

Il faut rappeler que cette année a été une année où il fallait discuter également de la question du renouvellement du Fonds vert pour le climat. Et à l’entrée de la COP, il y a beaucoup de mécanismes de financement lorsque nous parlons du climat. Mais la question que nous, les pays pauvres, on se pose souvent, c’est est-ce qu’on a besoin d’autant de mécanismes de financement ? Nous, ce n’est pas notre problème. Tout ce qu’on veut, c’est des mécanismes flexibles d’accès à ces financements-là pour que nous puissions mettre en œuvre nos projets. Vous allez constater qu’à l’entrée de la COP 28, le pays hôte, c’est-à-dire les Émirats arabes unis, a fait l’annonce de subventionner de 100 millions de dollars pour accompagner les fonds de pertes et préjudices. Beaucoup d’autres pays en ont fait également la promesse.

La question maintenant, c’est quelle est la flexibilité ? Nous, les pays en voie de développement comme le Bénin, quand nous participons à ces négociations, c’est comment est-ce que nous pouvons rendre ces fonds plus flexibles, plus accessibles et moins contraintes ? Parce que banalement, vous pouvez passer plus de trois ans à soumettre un projet pour que cela soit validé. Pour que vous puissiez avoir ces fonds-là, il y a beaucoup de choses. Et lorsque je reviens, par exemple, sur les fonds de pertes et préjudices, les discussions ont tourné autour de ça.

Ce qui concerne nous les Africains, c’est ce qu’on veut entendre, c’est l’accès à ces fonds-là. Comment est-ce qu’on met en place des mécanismes flexibles pour avoir accès à ces fonds ? Parce que lorsque vous prenez un quartier qui a subi de l’inondation et où les gens ont perdu leur maison et tout, il ne faut pas attendre un an, deux ans, trois ans avant de pouvoir venir en aide à ces personnes-là. Donc ce sont des sujets énormes qui ont fait l’objet des débats. Pour nous, le Fonds vert pour le climat, de manière générale, c’est rendre ça plus flexible, plus fluide, plus accessible et également réduire les contraintes au niveau de ces fonds-là. Augmenter surtout ce fonds-là parce que la capacité aujourd’hui de ces fonds-là, les pays en voie de développement se demandent si c’est toujours suffisant parce que les enjeux deviennent de plus en plus énormes.

COP 28
Tabaraka Bio Bangana est géographe consultant et activiste engagé pour le climat. Il a fait partie des délégués du Bénin à la COP28

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Quels sont les progrès significatifs en termes d’adaptation aux pertes et préjudices liés aux changements climatiques, et comment la création du secrétariat du réseau de Santiago contribuera-t-elle à renforcer la résilience des pays les plus vulnérables ?

Il y a eu énormément de progrès en termes d’adaptation pertes et préjudices parce qu’aujourd’hui il faut constater que nous avons un fonds qui a été mis en place, qui a été adopté depuis la COP 27 à Charm el-Cheikh, le fonds pour les pertes et préjudices. Et cette année à la COP 28, il était question de discuter autour de qui va bénéficier de ce fonds-là. Les textes par rapport à ce fonds-là précisent que ce sont les pays particulièrement vulnérables. Le mot ‘’particulièrement’’ est important parce qu’il y a des pays comme la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde qui se positionnent comme des pays en voie de développement.

Les débats ont évolué au point où il est convenu que ce sont les pays particulièrement vulnérables qui vont bénéficier de ces fonds-là. Mais la question, qui va renflouer la caisse de ces fonds-là ? Comment ils seront distribués ? Comment on aura ces fonds-là et qui va les héberger ? Et finalement, cette année, on a décidé que c’est la Banque mondiale qui va héberger ça. Le réseau de Santiago, c’est également pour travailler dans ce sens-là, pour permettre à la question des pertes et préjudices de vraiment gagner sa place et de pouvoir jouer pleinement son rôle. De plus en plus, que ce soit les pays en voie de développement ou les États insulaires, ces pays sont vulnérables aux effets des changements climatiques et les conséquences ne font que se répéter. Donc, un réseau pour travailler, canaliser, est important.

Quels sont les engagements spécifiques pris par le Bénin lors de la COP 28, et comment le pays prévoit-il de mettre en œuvre ces engagements pour contribuer de manière significative aux objectifs mondiaux de lutte contre le changement climatique ?

En termes d’engagement pris par le Bénin, j’ai l’habitude de le dire, lorsque vous allez à une conférence des partis, vous ne négociez pas en tant que pays, vous négociez en tant que groupe. Il y a beaucoup de groupes de négociations. Le Bénin appartient à trois groupes de négociations. Le groupe africain, le groupe des PME, c’est-à-dire les pays en voie de développement, et le groupe de G77+Chine. C’est à ces trois groupes-là que le Bénin appartient. Mais le Bénin est plus actif avec le groupe africain parce que peu importe ce qu’on fait, le pays ne va pas quitter le continent africain. Donc, le Bénin défend les mêmes positions que le groupe africain.

Lors des réunions de coordination, s’il y a un point de vue qui ne rentre pas en ligne de compte des besoins ou de ce que le Bénin veut, il se prononce et donne ses avis. On a fait du bon travail cette année. Sur beaucoup de thématiques, surtout au niveau de l’article 6 de l’Accord de Paris, on a contribué notamment à l’obtention d’un accord sur l’article 6.8 cette année. Donc, on a fait beaucoup de choses. Le Bénin est intervenu sur beaucoup d’aspects cette année-là, surtout lors des réunions de coordination, parce que lorsque vous venez en salle de négociation, c’est le groupe qui parle, ce n’est plus un individu. À moins que vous teniez à parler pour appuyer ce que le groupe a dit, sinon vous restez dans la position du groupe. Tout ce qui a été défendu comme position du groupe africain est en quelque sorte la position du Bénin.

Comment les gouvernements et les entreprises (béninois notamment) pourront-ils, selon vous, concrétiser les engagements pris à la COP 28 en résultats économiques réels, comme le souligne Simon Stiell, secrétaire exécutif d’ONU climat ?

Si nous prenons le cadre gouvernemental, il faut rappeler que le Bénin se positionne aujourd’hui comme un puits de carbone. Le deuxième rapport biennal vient confirmer cela, que le Bénin est un pays de carbone. En termes d’infrastructures par exemple, surtout les infrastructures routières, on a de plus en plus que des panneaux solaires qui sont installés, donc de l’énergie renouvelable. Il y a eu des lois ou décrets qui ont été adoptés pour corser tout ce qui a rapport avec la coupe et la commercialisation du bois. Ce qui a permis, de 2016 à aujourd’hui, de pouvoir préserver davantage nos ressources forestières. Cela permet au Bénin de se positionner sur le marché carbone qui est assez vaste et qui est en train de prendre de l’ampleur. On parle de l’article 6 de l’accord de Paris, c’est le seul article qui permet aux pays développés et ceux en voie de développement de vraiment collaborer. Également aux pays pauvres de collaborer entre eux pour la mise en œuvre de leurs contributions déterminées au niveau national afin de pouvoir atteindre leur engagement.

Le gouvernement peut se positionner sur le marché carbone à travers les décisions issues de la COP 28 parce qu’à cette conférence, on a eu le consensus des Emirats Arabes Unis qui appelle tous les pays à quitter progressivement l’utilisation des énergies fossiles tout en triplant le financement des énergies renouvelables et en doublant l’efficacité énergétique. Cela veut dire qu’en tant que pays en voie de développement, on peut profiter de ce marché pour pouvoir mobiliser de financement pour la mise en œuvre que ce soit de nos CDN ou de nos plans nationaux d’adaptation surtout, dans lesquels le secteur de l’énergie est un secteur vulnérable par exemple au Bénin. Quant aux entreprises, elles peuvent se positionner à travers des projets de réduction d’émissions qu’elles peuvent mettre en place et les valoriser au niveau international. Elles peuvent obtenir des marchés, travailler à collaborer avec d’autres Etats. Ces entreprises peuvent également se positionner sur le marché des énergies renouvelables, celui des emplois verts. Ainsi, ils participent non seulement à l’économie verte ou durable mais également à la préservation de la nature.

Que prévoient faire les délégués du Bénin à la COP 28 pour vulgariser auprès des populations les engagements pris par le pays de concert avec les autres nations ?

En réalité, nous avons eu des spécialités lorsque nous étions à la COP 28. Moi, je travaillais sur l’article 6 de l’Accord de Paris. D’autres étaient sur l’agriculture. En termes d’actions post-COP, nous avons beaucoup d’initiatives que nous souhaitons mettre en place. Notamment, ces initiatives se situent en deux catégories. Il y a entre nous les jeunes délégués, certains qui ont des initiatives assez personnelles qu’ils souhaitent mettre en place. Nous avons également des initiatives collectives que nous voulons mettre en place. On a beaucoup de projets comme aller vers des communautés, mener des actions concrètes auprès des agriculteurs, auprès des coopératives de femmes agriculteurs.

Nous avons par exemple fait une activité au niveau d’une école à Ouèdo. Là, nous avons sensibilisé des enfants sur les questions de l’efficacité énergétique et de la sobriété énergétique.  Moi, par exemple, j’ai déjà fait beaucoup de restitutions à travers des webinaires. Il y avait quelques activistes, quelques représentants des organisations de la société civile à qui j’ai partagé mon expérience. Nous avons même fait une restitution au ministre. On a beaucoup d’activités qu’on envisage, que ce soit sur le point des énergies renouvelables, sur les questions de l’éducation de la jeunesse, de leur engagement, que ce soit de l’éducation de la femme, de la promotion, des emplois verts, que ce soit sur les questions d’adaptation et d’atténuation, notamment les questions du marché carbone.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

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