En agriculture, la planification dans les politiques publiques est importante précise Patrice N’Goran, agronome en charge de la planification des investissements au Conseil Régional du Haut-Sassandra en Côte d’Ivoire. Dans cette interview, l’agronome, abordé suite au colloque scientifique international sur les Politiques publiques agricoles et rôle des collectivités territoriales dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique, explique comment le pays des éléphants intègre ces politiques dans ses stratégies de développement local. Patrice N’Goran met en lumière les défis spécifiques de la région du Haut-Sassandra, et les différences avec d’autres pays africains comme le Bénin, les obstacles à surmonter pour améliorer les conditions de vie en milieu rural.
Agratime : Quand on parle de politique publique agricole, qu’est-ce que c’est réellement ?
Patrice N’Goran : Les politiques publiques, parce que tout ce qu’on fait, il faut planifier. On dit que ne pas planifier, c’est planifier son échec. Donc il faut se définir une vision à long terme, et à partir de cette vision-là, on se fixe des objectifs. À partir des objectifs, on décline des actions ou activités a menées pour atteindre des résultats. Et quand on fait ça, on est dans une démarche de planification. Donc tout ce qui est politique publique, c’est tout ce qu’on met en œuvre comme planification de sorte à pouvoir réaliser tout ce qu’il y a comme activités pour atteindre les objectifs et dans notre cas, les objectifs agricoles. Ça fait vraiment appel à la planification. Parce qu’il ne faut pas faire les choses comme ça. Tout doit être pensé, tout doit être planifié.
Comment votre pays intègre-t-il les politiques publiques agricoles dans ses stratégies de développement local ?
Il faut dire qu’au niveau de la Côte d’Ivoire, en termes de politiques agricoles, elles sont portées par le ministère de l’agriculture à travers le plan national des investissements agricoles. La régionalisation en Côte d’Ivoire, c’est vrai, il y a une dizaine d’années, mais c’est quand même récent. Et pour l’instant, nous sommes aux premières générations d’élaboration des plans régionaux de développement. Donc en termes de politiques agricoles portées par les régions, il n’y en a pas encore. Mais dans nos plans de développement, comme c’est multisectoriel, il y a bien sûr des aspects qui touchent l’agriculture. Et donc c’est dans ce sens que nous voulons partir maintenant. Après avoir validé notre premier plan de développement, on va s’attaquer aussi aux aspects sectoriels. Et c’est pour ça qu’on a déjà fait une étude pour l’agriculture au niveau de la région du Haut-Sassandra.
Quelles sont les besoins d’implémentation des politiques publiques en agriculture dans votre région ?
Les besoins d’implémentation, il faut dire que déjà tout est mis en œuvre par le gouvernement. Mais nous, ce qu’on essaie de faire au niveau de la région, jusqu’à ce qu’on se dote de notre politique alimentaire territoriale, c’est d’appuyer les initiatives qui sont déjà en cours. Il y a quelques années, on avait réalisé par exemple un four amélioré, le four FTT Thiaroye en lien avec la FAO. Et puis on a appuyé des projets allant dans la production de vivres pour les cantines scolaires, en renforçant les groupements de femmes qui agissent un peu dans ce sens. Et on a un projet d’insertion des jeunes, qui est le PEJEDEC, pour lequel nous sommes maîtres d’ouvrages et délégués. C’est un projet financé par la Banque mondiale. Donc il y a certaines initiatives qui sont portées par les jeunes, qui présentent des projets dans les filières agricoles et qui sont soutenues dans le cadre de ce programme.
Au regard du cas du Bénin, quelle est la différence avec votre région ?
D’abord, première différence, nous sommes une région. Ici au Bénin, c’est des communes. Et puis, de deux, je pense qu’ici, ils ont réussi quand même à apporter quelques pistes de solution au conflit agriculteur-éleveur, ce qui n’est pas encore totalement le cas chez nous. Même dans les capitales régionales, il y a des bêtes qui sont toujours en divagation, à plus fortes raisons, dans les zones de production, où les éleveurs continuent à faire divaguer leurs bœufs, qui détruisent des cultures, il y a toujours ces problèmes à régler. Je pense que sur ce point, ce que le Bénin a déjà fait, ça peut être capitalisé dans d’autres pays. Mais la contrainte, c’est toujours la possibilité de trouver autant de superficie, parce que le Bénin, de ce que j’ai pu comprendre, c’est des milliers d’hectares qui ont été mobilisés pour pouvoir mettre en œuvre ce projet, de sorte à contourner les animaux, et permettre aux gens de produire sur des parcelles. Donc ça aussi, c’est une contrainte, sachant que chez nous, les parcelles sont détenues par les communautés, et ce n’est pas vraiment de grandes étendues.
Vous avez commencé par évoquer des contraintes. Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans la mise en œuvre de ces politiques publiques-là ?
Je l’expliquais, nous ayant en charge le développement rural, pour une région aussi vaste, parce que la région du Haut Sassandra, c’est la région la plus peuplée du pays, et on a une configuration des localités qui est vraiment assez dense, donc les enjeux de nivellement des infrastructures sont énormes, c’est une question de priorité. C’est vrai, l’agriculture, on a besoin d’y investir, mais on met beaucoup plus l’accent sur le renforcement des infrastructures, de telle sorte, à permettre aux gens qui sont dans le milieu rural d’avoir un minimum de besoins, et puis les encourager à aller dans la production. Donc c’est vraiment une question vitale. Il faut résoudre les problèmes de santé, d’eau potable, et les desserts agricoles, tout ce qu’il y a comme école. Les collèges de proximité, ça a été vraiment une des approches au niveau de la région du Haut Sassandra, parce que les enfants des agriculteurs partaient très loin, et il y avait un taux de renvoi assez élevé. La région, en créant les collèges de proximité, on en a au moins plus d’une douzaine, ça permet de maintenir les enfants des agriculteurs auprès d’eux.
On ne peut pas traiter la question de l’agriculture sans tenir compte des questions de développement rural.
Comment se porte le secteur agro-pastoral dans la région du Haut-Sassandra ?
L’agriculture dans la région du Haut-Sassandra, c’est d’abord un bassin de production de cacao, autour de 150 000 tonnes, ça c’est côté culture de rente. Dernièrement, quand on a vu la carte d’occupation des sols, le cacao occupe une bonne partie des sols, il y a l’hévéaculture et de l’anacarde, c’est ce qui occupe beaucoup plus les sols. Mais c’est une région qui est l’un des principaux bassins de production de bananes plantains en Côte d’Ivoire, le premier bassin même et c’est un des principaux bassins de production de maïs.
Mais aujourd’hui, tous ces efforts sont en train d’être contrariés par les questions d’orpaillage clandestin, et ça c’est vraiment un véritable danger pour l’agriculture. Ainsi que la colonisation des zones non constructibles, en zone périurbaine et urbaine, c’est-à-dire les casiers rizicoles qui ont été aménagés, qui sont aujourd’hui colonisés et en train d’abriter des bâtiments.
Qu’en est-il du secteur pastoral ?
Nous sommes une zone forestière, il y a juste une partie savanicole dans la partie septentrionale de la région, ce qui fait que le côté pastoral n’est pas le premier niveau. En Côte d’Ivoire, la partie nord, c’est la partie qui est beaucoup plus pastoral. Nous sommes une partie forestière, donc le pastoralisme n’est pas assez significatif. Néanmoins, dans quasiment tous les villages, il y a des noyaux d’élevage de bœufs, une vingtaine, une trentaine, une dizaine, et puis il y a quelques petits ruminants. Mais ce n’est pas le secteur prépondérant dans notre région.
Propos recueillis par Auriol HOUDEGBE