Le rôle prépondérant de la recherche agricole dans l’amélioration des rendements, l’importance de l’autonomisation financière des chercheurs africains et du partenariat public-privé, Docteur Sibiri Jean Zoundi parle de tout cela dans cet entretien accordé à Agratime. Directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE) à Paris, il participe, au Bénin, à la 14ème Assemblée générale du Conseil (CORAF). Nous avons tendu notre micro au Burkinabé d’origine. Lisez plutôt !
Agratime : Comment la recherche contribue-t-elle concrètement au développement ?
Dr Sibiri Jean Zoundi : La recherche est pourvoyeuse d’innovations. Vous savez, quand on parle d’agriculture, on parle de rendement, c’est la même chose, même quand on parle de production animale, c’est-à-dire le lait par exemple. On dit, nous allons passer de tant de litres de lait à tant de litres de lait. Le rendement, on dit, on va passer à tant de kilogrammes ou tonnes à l’hectare, à une quantité supérieure. Pour répondre à ces ambitions, c’est par la recherche. C’est la recherche qui crée des innovations qui permettent d’atteindre ces différents rendements. Et la recherche, sur le plan socio-économique, permet également au producteur de saisir les meilleures opportunités, de savoir quand il faut produire pour avoir le meilleur marché, le meilleur prix, etc. Tout cela, ce sont innovations que peut apporter la recherche agricole et socio-économique.
La 14ème Assemblée générale du Coraf est axée sur la collaboration entre les secteurs public et privé en matière de recherche agricole. Qu’est-ce que l’implication du secteur privé pourrait apporter concrètement selon vous ?
Déjà le secteur privé est un acteur de la recherche. Si vous prenez le terme système national de recherche agricole, ça inclut à la fois les instituts et centres de recherche du gouvernement, les universités, également les acteurs du secteur privé. Il y a des laboratoires privés qui font la recherche. Mais parlant des opérateurs privés, ils ont leur place au niveau de la recherche. Parce que les acteurs privés, c’est quoi ? Vous prenez les fournisseurs d’intrants, d’engrais et autres, ils font partie du système de production agricole, des chaînes de valeur agroalimentaire, et donc sont partie prenante de la recherche. Et mieux encore, tout à l’heure, on a parlé de financement durable de la recherche. On ne peut parler de financement durable de recherche sans compter sur ces acteurs privés. Donc voilà vraiment le rôle central que jouent les acteurs du secteur privé dans ce dispositif.
En matière de financement, comment ces acteurs peuvent-ils prendre en main leur souveraineté afin que les résultats des recherches ne soient pas orientés selon l’intérêt du bailleur, mais qu’ils tiennent compte des priorités nationales ?
C’est ça le problème, le défi lancé aux pays. Raison pour laquelle nous parlons d’un mécanisme de financement durable et souverain, il y a des opportunités. Actuellement, je pense que c’est une priorité au niveau du Coraf, c’est de voir comment accompagner ces pays-là à mettre en place des mécanismes de financement durables et souverains. C’est fondamental. Parce qu’on ne peut pas compter [éternellement sur le financement extérieur, Ndlr]. Je vais vous donner un exemple qui pourrait vous étonner. Au niveau de la plupart des institutions de recherche actuellement, les États font un effort, mais l’effort se limite au salaire des chercheurs. Le financement opérationnel des recherches, il faut compter sur le bon vouloir des partenaires extérieurs. Ce n’est pas la souveraineté. Donc le problème, c’est un vrai problème de fond et je suis tout à fait d’accord avec ce qu’il faut aller vraiment vers le chemin de la souveraineté en matière de financement.
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Là-dessus, vous avez écrit un livre pour « Eclairer la prise de décision politique en Afrique subsaharienne ». Vous prônez une nouvelle donne pour la recherche agricole et environnementale.
Ce livre évoque la manière dont les systèmes de recherche doivent faire pour avoir une complicité avec les décideurs politiques. Parce que ce sont eux [ces décideurs politiques, Ndlr] qui décident du financement souverain et tout. Les ministères en charge de l’économie et des finances, les présidents… Donc les systèmes de recherche doivent faire de sorte que les gouvernants, les politiques, sachent ce que c’est que la recherche, quelle est son utilité, quels sont ces impacts, en quoi la richesse les accompagne pour atteindre leur agenda de développement politique ? Le livre traite de tout ça, avec différents mécanismes bien sûr, comment les chercheurs doivent s’y prendre, et avec également quelques recommandations en termes de renforcement des capacités des équipes de recherche, qui le plus souvent ne sont pas formées pour ça. Elles sont formées pour produire des technologies, mais pour créer vraiment la symbiose avec là où se prennent les décisions, c’est difficile.
A votre avis, est-ce que le Bénin, en termes de recherche agricole, fait beaucoup d’efforts ?
Si, si, le Bénin fait beaucoup d’efforts. On a suivi une petite vidéo sur les aulacodes [un documentaire a été réalisé sur un exemple de recherche agricole au Bénin, et projeté lors de la cérémonie d’ouverture de l’Assemblée générale du Coraf à Cotonou, Ndlr]. Ça montre qu’il y a un effort. C’est vrai que les pays sont limités. La recherche coûte chère. Et effectivement, les pays sont souvent au bout de la limite, mais je vois tout ce qui se fait au niveau de l’ananas, au niveau des productions animales et autres, c’est un effort terrible à saluer et à encourager. Je pense que cela vaut la peine.
Et en ce qui concerne le Burkina Faso dont vous êtes originaire ?
C’est la même chose. Nous sommes tous ouest-africains et l’effort est là. Je pense que si vous prenez la plupart des pays de la région, que ce soit le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Niger ou le Sénégal, au milieu des années 90, les gouvernants ont tellement cru à la recherche qu’ils sont allés s’endetter auprès de la Banque mondiale pour nous donner des moyens de travail. Les premiers plans stratégiques de la recherche agricole ont pratiquement été financés grâce à ces prêts que les pays ont consentis auprès de la Banque mondiale. Cela veut dire que c’est un intérêt.
Aux sorties de l’Assemblée générale du Coraf, comment les 23 pays membres pourront-ils appliquer les résolutions prises lors des assises, en milieu réel ?
On a parlé de la dimension vulgarisation, appui au conseil agricole, etc. C’est un tout. On ne peut pas dissocier. Dire qu’on va finir de faire la richesse et maintenant passer à la vulgarisation, ça va ensemble. Et de plus en plus même, on a développé des mécanismes pour que tout ce qui se fait en matière de recherche, réponde à une demande de l’utilisateur. Cela arrange beaucoup les choses. Mais il faut créer un environnement incitatif. Imaginez, vous, à la place d’un producteur, j’ai mis une technologie qui vous permet de passer de 500 kg à 1.500kg à l’hectare, vous êtes intéressé, mais vous ne savez pas où vous allez vendre cette production que vous allez accroître. Si par erreur l’État n’a pas mis les mesures de protection par rapport à ça, à supposer que ce soit du maïs, les frontières sont ouvertes, le maïs sera d’ailleurs moins cher. Allez-vous investir dans l’achat, la mise en œuvre de la technologie, les semences, les techniques culturelles, les engrais et tout, tout ce que recommande le paquet technologique pour produire, et ne pas pouvoir vendre ? C’est un problème, c’est un tout. C’est un tout et même le livre dont je parle évoque tout ça. Il y a tout un environnement et il nous revient à nous, à la recherche de faire comprendre aux décideurs politiques que c’est un tout. Il faut créer de la cohérence.
Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON & Dorice AHOLOUKPE
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