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Mamadou Cissokho au sujet de l’agriculture africaine : « Partons de ce que nous avons pour aller où nous voulons »

Il fait partie des participants les plus proactifs à la 14ème Assemblée générale du Conseil ouest et centre africain de recherche et le développement agricole (Coraf). Mamadou Cissokho est le Président d’honneur du Réseau des organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) et du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR). Reconnu, pour son franc-parler, comme défenseur charismatique des paysans de l’Afrique, il pense que les pays africains doivent compter sur leurs propres ressources pour développer leurs systèmes agricoles et selon leurs priorités. Nous avons échangé avec lui, voici la substance de nos échanges.

Agratime : Vous avez l’air très critique par rapport à ce qui se fait dans la recherche agricole en Afrique de l’ouest et du centre. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

Mamadou Cissokho: Je ne suis pas critique. J’ai eu la malchance d’être là aux indépendances. Tout ce qu’on raconte là, ça a été raconté. Mais il y a quelque chose qui doit être réfléchi. Comment veux-tu que ta priorité puisse engager quelqu’un d’autre ? Nous, on fait des réflexions, on fait des programmes et puis on dit on va aller chercher l’argent chez d’autres. Est-ce que c’est logique ? C’est ça le problème. Et puis, il y a des choses qu’on peut faire contre le changement climatique, planter des arbres, comme je l’ai dit, nettoyer des bas-fonds. Tout ça, on peut le faire. Mais tout ça, il faut qu’on élabore des projets pour aller demander l’argent. Si on continue sur cette lancée, ça ne se fera pas. Moi, je dis, partons de ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous pouvons pour aller où on veut. Quand le matin, on se lève, toi tu as un vélo, l’autre à une moto, moi je suis à pied, chacun va avec ce qu’il a. Est-ce que tu dois attendre quelqu’un te donner une voiture pour aller ? C’est tout ce que j’ai dit.

En quoi l’implication du secteur privé est-elle nécessaire pour relever le défi de la recherche agricole ?

Le secteur privé est en train de faire ce qu’il doit faire pour gagner plus d’argent. C’est ça le privé. Si tu investis 10 millions, tu veux 20. Et ça, on ne leur apprend pas. Ils savent le faire, ils le font. Il n’y a pas de secteur privé ici ? Est-ce qu’on les a appelés ? Personne n’appelle le secteur privé. Le secteur privé c’est comme des mouches. Partout où ça sent bon, ils viennent, ils prennent ce qu’ils veulent le secteur privé et c’est bon. Et ce sont des citoyens. Par ailleurs, la recherche a donné beaucoup de choses qui contribuent à avancer. On n’a pas dit que ça, ça n’existe pas. Mais ce n’est pas ça qui va régler le problème. Voilà, c’est tout. Il faut qu’on pense à nous occuper de nous-mêmes.

Le problème africain, selon vous, est systémique, il faut s’attaquer au système éducatif pour changer les mentalités, même en matière agricole.

Evidemment. Vous (s’adressant à nos journalistes), vous avez été à l’école, est-ce qu’on vous a parlé de vous, de votre culture, de votre langue, de votre histoire ? Alors quand vous allez dans une institution où pendant 20 ans, vous sortez sans qu’on ne parle de vous, vous serez quoi ? Vous serez des nuls et vous ne donnerez rien. L’école qui est là, ce n’est pas une école pour nous. Vous avez été à l’école. Est-ce qu’on vous a parlé du Bénin, est-ce qu’on vous a parlé de la langue fon ? Est-ce qu’on vous a parlé de vous ? Tout ça n’existait pas, on vous a parlé de la France. Eh bien alors, si vous êtes partis là-bas et qu’on vous a appris uniquement ce qui se passe ailleurs, vous devenez ça.

Quelles sont les actions clés que les gouvernants doivent mener au niveau des 23 pays membres du Coraf pour financer eux-mêmes la recherche agricole ?

Les gouvernements doivent prendre l’habitude d’appliquer les décisions qu’ils prennent. Ils ont dit qu’ils vont mettre dix pour cent des budgets dans l’agriculture. Ils n’ont qu’à le faire. Mais pour financer l’agriculture, il faut s’assoir avec la recherche, les producteurs, les consommateurs, etc. et que les 10%, on puisse vérifier, que c’est effectif. Parce qu’aujourd’hui, on ne sait pas combien d’argent a été mis là-dedans. Vous connaissez le budget national du Bénin [par exemple] ? Si les 10% de ce budget pendant 5 ans vont dans des bons endroits de l’agriculture, on va régler le problème. Et la même chose dans les autres pays. Donc nous, ce que nous demandons, c’est que les gouvernements prennent l’habitude d’exécuter leurs propres décisions. C’est ça qu’on leur demande.

Vous avez souvent l’impression que ce que vous défendez tombe dans les oreilles de sourds ?

Mais non ! Moi, je n’en ai pas besoin. Vous, ce que je sais, c’est ce que vous savez. Vous, vous êtes au Bénin, vous êtes journalistes. Est-ce que vous êtes satisfaits de ce qui se passe ?  Sur les déclarations, vous les suivez ? Et bien c’est tout. Moi je veux tout simplement que chacun, chacun soit conscient de sa responsabilité. Nous, nous devons bien faire notre travail là où nous sommes. Chacun n’a qu’à faire son travail. L’Etat c’est surtout soi, et le gouvernement est en charge de faire des politiques, de nous accompagner. Donc chacun n’a qu’à faire son travail.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

LIRE AUSSI Recherche agricole : l’implication du secteur privé au centre de la 14ème AG du Coraf

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