À Nikki, au Nord-Est du Bénin, le programme ACMA3 transforme peu à peu l’élevage des petits ruminants en alliant tradition et innovation. Grâce à des pratiques d’élevage intelligentes adaptées au climat, des croisements génétiques maîtrisés et un accompagnement technique de proximité, les éleveurs améliorent la santé, la productivité et la rentabilité de leurs troupeaux. Ce projet, porté par un consortium international, redonne espoir aux éleveurs locaux face aux défis climatiques et sanitaires, tout en favorisant une meilleure organisation et une solidarité accrue au sein des communautés.
Hafiz Djaouga, la trentaine environ, visage fermé et serein surveille ses brebis avec attention. Depuis neuf ans, il élève des ovins de race locale, qu’il a croisés avec les Djallonkés et d’autres races venues de Gaya au Niger. Appréciées pour leur carcasse à haut rendement, ces races ont longtemps constitué la base de son troupeau. Mais aujourd’hui, Hafiz s’oriente vers de nouvelles options génétiques, plus performantes et mieux adaptées aux défis climatiques. Grace à l’appui du programme ACMA3, il dispose dans son troupeau de deux nouvelles têtes de moutons, deux femelles en gestation issues d’un croisement soigneusement suivi par les encadreurs dudit programme .
« J’ai appris qu’il y avait une campagne de vaccination financée par ACMA3. Mon troupeau en a bénéficié. C’est après cela qu’une équipe est venue faire des suivis et des sélections et c’est ainsi que j’ai pu bénéficier de l’appui ciblé. Actuellement, j’ai des animaux qui sont plus résistants au climat de la commune de Nikki qui diffèrent beaucoup de ceux du Niger », explique Hafiz Djaouga.

Une révolution pour l’élevage des petits ruminants
Mis en œuvre par le consortium IFDC, Care Bénin-Togo et Kit Institute, avec le soutien financier de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas, le programme ACMA3 s’attelle à améliorer la performance économique et climatique de plusieurs filières agricoles. Dans la filière petits ruminants (chèvres ou moutons), l’objectif est clair : renforcer durablement la productivité et la rentabilité grâce à une combinaison d’innovations génétiques, de nutrition adaptée et d’un appui-conseil de proximité. Et pour y arriver, ce sont des techniques d’élevage dites intelligentes au climat qui sont mises en œuvre avec l’accompagnement de l’Union départementale des organisations professionnelles d’éleveurs de petits ruminants (UDOPER).
« Dès le démarrage en 2023, le diagnostic des filières nous a permis d’identifier les activités à mener. En écoutant les acteurs, nous avions noté qu’il il y avait des difficultés de gestion de certaines zoopathies, notamment la peste des petits ruminants. Donc il y avait encore des poches de résistance que nous avons détectés pour apporter une action spécifique », a expliqué Aimé Guédou, spécialiste en production animale au sein du programme ACMA3. Avec environ 35.000 bêtes recensés dans la commune, presque tous les habitants de Nikki disposent de petits ruminants. Cependant, ils ne faisaient pas de la vaccination du cheptel, une priorité. Désormais avec ACMA3, la donne change peu à peu. Avec une telle population de petits ruminants, le programme a mis en place des parcelles fourragères et rendu disponible des produits phytosanitaires. Pour mieux disséminer les bonnes pratiques, certains éleveurs ont reçu des espèces améliorées qui serviront de référence aux éleveurs de toute la commune de Nikki.
« Aujourd’hui, il y a eu des éleveurs qui ont été identifiés et retenus et au niveau de ces éleveurs, ACMA3 a placé des espèces de petits ruminants à raison de quatre femelles par éleveur et un mâle », témoigne Abdoul-Jabbar Djaouga représentant de l’Union communale des organisations professionnelles d’éleveurs de petits ruminants (UCOPER).

La révolution engagée par ACMA3 dans l’élevage au Nord-Est du Bénin s’appuie sur trois options d’intensification expéri mentées dans plusieurs autres communes du Borgou. A Nikki, ces approches sont testées à travers trois Unités Pédagogiques de Démonstration (UPD) fonctionnelle pour identifier les meilleures pratiques durables tant en matière de reproduction que d’alimentation.
« Pour la première option d’intensification, la femelle est une brebis bali-bali, djallonké, croisé avec un mâle bali-bali. En six mois, nous avons eu de très bons résultats. Au niveau de l’alimentation, nous avons proposé l’association du panicum maximum avec le crotalaria. La deuxième option compose avec la femelle djallonké croisée avec un mâle issu d’un croisement bali-bali et djallonké. En termes d’alimentation, les pâturages sont mixtes panicum en association avec stylosanthes. Au niveau de l’option numéro 3, nous avons tablé sur une femelle bali-bali djallonké avec un mâle bali-bali. Et l’alimentation, c’est du panicum en association avec achinoméné », a précisé Aimé Guédou.
Un accompagnement de proximité pour former et convaincre
Au total, ce sont environ 180 éleveurs par commune qui bénéficient directement de ces démonstrations. « L’éleveur hôte mobilise au moins 30 éleveurs de son voisinage. Pendant ces séances, nous développons et débattons de plusieurs thématiques notamment sur l’alimentation, la santé, le suivi, le contrôle et même sur la vente groupée du bétail et sur l’appartenance à des organisations d’éleveurs pour bénéficier des projets de ce genre », a indiqué Ghislain Marius Zokpe, technicien en production animale.

Des résultats tangibles
Selon les témoignages des bénéficiaires, depuis que le programme ACMA3 s’investit dans le sous-secteur, les ovins affichent une meilleure croissance. L’introduction de plantes à propriétés médicinales a également permis de réduire de manière significative les risques de maladies, aussi bien dans les troupeaux de Hafiz que dans ceux de ses homologues. « Avant, j’avais l’habitude de laisser les animaux en divagation. La reproduction était aussi libre. Depuis que ACMA3 m’accompagne, j’ai pu contrôler la reproduction. Les femelles ne sont pas fécondées par autre mâle que la race Bali-Bali. Jusqu’à présent, je n’ai pas encore enregistré de mise-bas morte. Je connais maintenant les différents types de fourrages qu’il faut donner aux animaux. Par exemple le panicum maximum, le cajanus cajan », renchérit Bastou Bello, une autre bénéficiaire.

Les déjections animales issues des bergeries sont désormais valorisées par les éleveurs, notamment pour fertiliser les espaces fourragères et les champs. Une appropriation progressive des techniques de compostage s’observe également, ce qui renforce l’intégration agriculture-élevage. Tout comme ses homologues éleveurs de petits ruminants à Nikki, Hafiz Djaouga se réjouit de l’impact significative des actions du programme ACMA3 sur son activité.
« Grâce au programme, j’ai appris qu’il faut construire l’enclos de sorte que les courants d’air ne puissent pas créer des dommages à la toiture. J’ai appris à fabriquer les pierres à lécher […] avant, je devais vendre une dizaine de têtes (50 kilos, ndlr) pour atteindre 500 000 francs, mais maintenant je peux en vendre seulement cinq à sept (70 à 80 kilos, ndlr) pour le même montant » se réjouit-il.
Au-delà des performances individuelles, selon la faitière, un engouement est né au sein des éleveurs. « On constate que de plus en plus de gens donnent de la considération aux petits ruminants. On a constaté aussi que c’est plus facile de vendre. Pour la fête de tabaski 2025, je crois que chaque éleveur, en tout cas chaque membre, a tiré son épingle du jeu », a ajouté Abdoul-Jabbar Djaouga.
Défis et perspectives
Malgré ces impacts encourageants, le programme se heurte à quelques défis dont la dispersion des éleveurs et la mauvaise compréhension des conseils dispensés. « la plupart des éleveurs étant analphabètes, le suivi au niveau de la quantité de la ration alimentaire servie aux animaux est un peu biaisé. Également, certains sujets ont contracté des maladies qui ont pris du temps pour être traité ce qui a retardé leur croissance. Nous avons aussi enregistré des cas de mortalité et les sujets ont été remplacés », a souligné le technicien Zokpe.

Nonobstant ces défis, le programme ACMA3, grâce à l’expérimentation de l’élevage intelligent face au climat, revolutionne peu à peu les pratiques d’élevage à Nikki. Les acteurs prennent de plus en plus conscience et « respectent vraiment les bonnes pratiques de l’élevage », a rassuré Aimé Guédou. Les éleveurs comprennent désormais mieux l’importance de faire vacciner leur cheptel. Par exemple, bien que Tchaourou ne fasse pas partie des communes bénéficiaires des séances de vaccination organisées par ACMA3, le programme reçoit actuellement une sollicitation de la part des éleveurs de cette commune.
Pour pérenniser les acquis enregistrés, les différentes parties prenantes envisagent le partage des kits d’élevage. Il est ainsi prévu, à la fin des essais d’élevage intelligent au climat, de diviser le kit d’élevage (moutons, aliments, etc.) en deux parties égales et de remettre la moitié à un éleveur participant activement aux travaux au sein de l’UPD.
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