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Malek Zitouni: le projet Tôgblé renforcera « l’essor de l’agriculture biologique »

Au Bénin, la biodiversité du lac Nokoué (4 900  hectares) est menacée par la jacinthe d’eau. Si l’ambition du projet Tôgblé est d’endiguer le fléau, Malek Zitouni, consultant international en développement durable et consultant associé de l’association Unigaia-France, déclare qu’il sera bénéfique autant pour la nature que pour les riverains. La valorisation de la plante invasive renforcera entre autres, soutient-il, « l’essor de l’agriculture biologique ». Lisez plutôt!

Agratime : Par le passé, il y a eu des projets (exemple ici) avec le même but : endiguer le phénomène de la jacinthe d’eau. Quel est véritablement l’étendue du problème qui semble incurable ?

Malek Zitouni : Je ne sais pas s’il y a eu des projets dont l’objectif était d’endiguer le fléau de la jacinthe d’eau ? J’ai seulement connaissance de projets qui visent la valorisation de cette plante envahissante, dont l’enlèvement ne pouvait se faire que manuellement par les femmes essentiellement.

Le projet Tôgblé, initié par l’ONG béninoise Terre Nouvelle en partenariat avec l’association française UNIGAIA, s’appuie quant à lui sur la méthode d’enlèvement de la jacinthe d’eau à l’aide d’une récolteuse mécanique.

Quoiqu’il en soit, l’expérience du Bénin en matière de valorisation de la jacinthe d’eau, particulièrement dans la commune de Sô Ava, est remarquable de par la diversification et l’innovation qui ont caractérisé les différentes applications développées !

Le projet Tôgblé entend restaurer la biodiversité du lac Nokoué. En quoi est-il différent des autres projets déjà menés ?

Pour répondre à votre question avant d’essayer de donner un aperçu sur la portée du projet Tôgblé, je voudrais clarifier ceci :

1°- Le projet Tôgblé vise à contribuer et à soutenir les efforts de protection de la biodiversité du lac Nokoué, sachant que l’éradication du fléau de la jacinthe d’eau est une œuvre de longue haleine.

2°- Le projet Tôgblé se distingue par la méthode mécanique de la récolte, d’une part, et un mode de gestion et de valorisation de la jacinthe d’eau dans les applications essentiellement industrielles

J’ajouterai, pour situer les contours du projet Tôgblé par rapport aux projets qui prennent appui sur l’enjeu de la valorisation, les considérations suivantes :

  • C’est à la faveur de l’étude du projet MUPEL d’accès à l’eau potable au profit des villages lacustres de Sô Ava que nous avons pris la mesure de l’enjeu crucial que représente la jacinthe d’eau pour la protection de la biodiversité du lac Nokoué. En effet, cette plante invasive qui colonise les villages lacustres et qui obstrue les voies de navigation avec les conséquences que vous pouvez deviner sur la vie quotidienne des habitants nous a incité à prendre en compte ce phénomène. Un projet spécifique dénommé Tôgblé, par référence à ce cauchemar de la jacinthe, a été initié pour « transformer le fléau de la jacinthe en opportunité pour les populations de Sô Ava et d’autres zones humides du Bénin».
  • Le projet Tôgblé, dans le cadre de sa mise en œuvre, démarrera avec l’expérimentation de la méthode mécanique dans la commune de Sô Ava. Un projet pilote qui consiste à introduire une récolteuse mécanique capable d’enlever jusqu’à 3500 m²/heure, sera lancé en 2024 si les conditions financières nécessaires sont réunies. Le projet Tôgblé, dans sa phase expérimentale, se veut une Initiative Biodiversité de solidarité internationale.

A ce titre, je voudrais préciser un point important. Le projet Tôgblé ne se posera en aucun cas et d’aucune manière en concurrent avec les principaux acteurs traditionnels de « la filière jacinthe » au Bénin, à savoir les femmes surtout. Bien au contraire. Celles -ci vivent de cette activité bien ancrée où le dur labeur rythme le quotidien de leurs familles. Elles trouveront dans le projet Tôgblé un confort et un réconfort au plan physique, santé, sécurité et pécunier.

Le projet Tôgblé ne se posera en aucun cas et d’aucune manière en concurrent avec les principaux acteurs traditionnels de « la filière jacinthe » au Bénin, à savoir les femmes surtout.

Un prix minoré, voire symbolique, leur permettre d’acheter la jacinthe fraiche que nous récolterons et continuer à fournir leurs clients et à valoriser cette ressource pour les besoins de l’agriculture, de l’artisanat et autres domaines d’application.

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Vous prévoyez acheter trois récolteuses mécaniques de jacinthe d’eau. Cela est-il suffisant pour restaurer intégralement la biodiversité du lac ?

Les surfaces infestées par la jacinthe d’eau sont considérables si l’on en croit certains rapports qui en font état. Selon certaines estimations qui restent encore à vérifier, la jacinthe d’eau couvrirait jusqu’à 70% des superficies des plans d’eau en période de crue et de grande prolifération. Le lac Nokoué serait infesté sur pas moins de 15 000 hectares ! C’est énorme. Une récolteuse mécanique travaillant à plein régime enlèverait entre 600 et 700 hectares de jacinthe d’eau par an.

Comme je l’ai indiqué précédemment, le projet Tôgblé a pour but de contribuer à la préservation la biodiversité du lac Nokoué et des autres zones humides du pays qui vivent le cauchemar de la jacinthe d’eau. Les trois récolteuses dont il est question vont servir à introduire au Bénin la mécanisation, à titre expérimental, de l’enlèvement de la jacinthe d’eau en vue d’assainir prioritairement les zones d’habitat lacustres infestées et dégager les voies de navigation obstruées par la jacinthe. L’objectif d’amélioration du cadre de vie des villages lacustres de Sô-Ava , devant abriter les micro-unités de production d’eau [du projet MUPEL], est déterminant à tous points de vue :

  • Au plan économique et social, en fluidifiant le transport fluvial, les activités touristiques reprendront de plus belle. La scolarisation des enfants ne sera plus interrompue. La pêche, activité centrale au niveau de la commune, renaîtra inévitablement grâce à l’oxygénation du lac. La revente et la valorisation massive de la jacinthe d’eau récoltée, générera beaucoup d’emplois au profit des femmes, des jeunes et des moins jeunes.
  • Au plan sanitaire, la réduction des maladies, telles le paludisme et la bilharziose favorisées par l’invasion de la jacinthe, impactera la vie et le bien être surtout des femmes.
  • Au plan environnemental, la dépollution des zones infestées du lac Nokoué contribuera à la régénération des espèces fauniques et florales asphyxiées.
Tôgblé
Récolteuse de jacinthe d’eau

Puisque les riverains utilisaient déjà la plante pour diverses transformations, quelle est la plus-value supplémentaire que l’initiative leur apporte ?

La commune de Sô Ava est réputée pour son caractère de « pôle » d’expérimentation en matière de valorisation de la jacinthe d’eau, notamment pour les besoins du secteur de l’agriculture avec la formulation du compost et de l’aliment du bétail.

Le projet Tôgblé doit s’inscrire dans cette dynamique en apportant une touche de modernisation par la mécanisation de la récolte, par des projets d’impulsion à l’innovation et à l’industrialisation de cette matière première ; « ce pétrole vert » du Bénin comme la qualifie mon collègue Serge Broch président d’UNIGAIA.

L’ambition du projet Tôgblé s’inspire aussi de l’esprit d’innovation qui anime des acteurs tels Green Keeper Africa qui fabrique des absorbants industriels à base de fibres de jacinthe. L’idée d’explorer la faisabilité d’une usine de Gel Fuel ou Ethanol [biocarburant] dans la commune de Ouidah a été projetée en 2014 par le CIED Nokoué (Conseil Intercommunal d’Eco-Développement. Toujours dans la région de Sô Ava, on trouvera aussi, en bonne place, la valorisation de la jacinthe d’eau inscrite au Programme du Gouvernement (2021-2026) en faveur du projet « Réinventer la cité lacustre de Ganvié ». Cela dénote une volonté de faire de la jacinthe d’eau une ressource stratégique au service du développement socio-économique au Bénin.

C’est donc dans l’esprit de cette dynamique d’innovation que les partenaires du projet Tôgblé s’engagent à œuvrer pour apporter une « plus-value » qui se matérialisera dans l’introduction de technologies, le transfert de savoir-faire, la formation des ressources humaines ainsi que la promotion de partenariats techniques et scientifiques pour la Recherche et le développement de méthodes de traitement et de valorisation de la jacinthe d’eau.

Parlez-nous des enjeux de ce projet pour l’agriculture et le climat.

Lorsqu’on parle de protection et de restauration de la biodiversité du lac Nokoué par rapport l’eutrophisation qui détériore l’écosystème aquatique du lac, ce qui nous vient à l’esprit c’est l’impact considérable de la prolifération de jacinthe d’eau qui aggrave le phénomène du réchauffement climatique. On assiste à une augmentation de température (variation entre 24° et 29°) et à une désoxygénation du lac avec pour conséquences l’asphyxie de la faune et une menace pour la pêche qui représente 70% de l’activité des habitants de Sô Ava.

L’approche du projet Tôgblé peut constituer en partie la solution susceptible d’atténuer les effets du climat.

Pour faire face à la problématique de la prolifération de jacinthe d’eau, conséquence de l’eutrophisation du lac Nokoué et autres zones humides du Bénin, l’approche du projet Tôgblé peut constituer en partie la solution susceptible d’atténuer les effets du climat, dont le phénomène des inondations récurrentes qui se déclarent fréquemment dans la région de Sô Ava, entrainant parfois des pertes humaines et une dégradation de l’habitat des communautés lacustres. Les tapis de jacinthe d’eau qui colonisent le lac Nokoué sont en partie la cause des inondations dommageables du fait des barrages qu’ils forment autour des rivières et des canaux.

Concernant la contribution du projet Tôgblé au développement du secteur agricole, il est évident que la récolte de la jacinthe d’eau bénéficiera prioritairement et grandement aux maraichers, aux éleveurs et autres acteurs potentiels qui vivent de l’agriculture ou qui servent ce secteur prometteur. Les transformateurs de la jacinthe en compost, en aliments du bétail, etc. seront encouragés (par le prix) pour produire davantage d’engrais verts, de fourrages, … et renforcer ainsi l’essor de l’agriculture biologique.

L’un des défis dans la mise en œuvre des projets pareils est le transfert de compétences pour la pérennité des acquis. Que prévoit Tôgblé à ce sujet ?

Quitte à me répéter, le projet Tôgblé, dans son essence, son modèle et son pilotage, a une vocation économique, sociale et solidaire. A partir du projet pilote, dont les contours et la coordination de sa mise en œuvre seront étudiés soigneusement avec la direction locale de Tôgblé, tous les aspects stratégiques liés à la formation, à l’acquisition du savoir-faire et à l’appropriation de la technologie constitueront le centre des préoccupations du projet. Avec le potentiel technique et scientifique disponible au Bénin, il est permis de pouvoir réunir toutes les conditions pour la maitrise des méthodes et des technologies à acquérir pour réussir de tels projets. Ici, je fais référence aux projets « TÔGBLÉ » [Biodiversité] à Sô Ava et « MUPEL » [Accès à l’eau potable] au profit des villages lacustres de Sô Ava.

Vous êtes consultant associé Unigaia France. L’association travaille pour la disponibilité d’eau potable à Sô-Ava. A cet effet, le projet Tôgblé apporte quoi ?

Vous faites bien de me poser cette question car il y a un lien très étroit entre deux projets initiés par UNIGAIA et son partenaire l’ONG Terre Nouvelle, avec l’appui de la mairie de Sô Ava, à savoir le projet MUPEL et le projet TÔGBLÉ. Le projet Tôgblé émane en réalité de l’étude du projet MUPEL. Je m’explique :

Le projet MUPEL qui signifie « micro-unités de production d’eau en milieu lacustre » a été initié pour contribuer à approvisionner en eau de boisson environ 30 000 ménages d’une quarantaine de villages lacustres de la commune de Sô Ava. Un peu moins d’une centaine d’unités Mupel sont prévues pour produire 200 m3/jour en 2030. Les unités Mupel reposent sur un système de purification à osmose inverse, alimentées par pompage solaire de l’eau du lac !

Un projet pilote sera mis en œuvre au niveau d’un village lacustre d’environ 5000 habitants. Il sera doté d’une Mupel d’une capacité de 2000 litres/jour et d’une fontaine domestique d’ultrafiltration par ménage, soit un millier de fontaines individuelles.

Je reviens maintenant à votre question sur « l’apport » du projet Tôgblé. Pendant que nous menions l’étude du projet MUPEL, le problème de la jacinthe d’eau s’est plus ou moins interposé pour compliquer le pompage de l’eau du lac. Pour affronter à la fois la pollution due aux activités anthropiques et le fléau de la jacinthe encerclant les habitations, la solution qui nous a paru le plus appropriée est d’initier un projet spécifique d’enlèvement de la jacinthe d’eau et d’assainir les alentours de l’habitat lacustre devant abriter les unités Mupel. D’où, l’initiation du projet TÔGBLÉ.

Tôgblé
Logo Tôgblé

Quels sont vos rapports avec les entreprises ou les acteurs déjà engagés dans la restauration du lac Nokoué ?

A vrai dire, le projet Tôgblé vient à peine d’être initié à la faveur de l’étude MUPEL d’accès à l’eau potable. Conçu au départ comme un objectif dans le domaine de l’assainissement et de la dépollution des surfaces devant servir au pompage solaire de l’eau du lac. Puis, l’objectif s’est vite transformé en projet spécifique complémentaire au projet MUPEL.

Avec nos partenaires de l’ONG Terre Nouvelle, des contacts seront entrepris avec les acteurs susceptibles de participer directement ou indirectement dans la mise en œuvre du projet TÔGBLÉ comme du projet MUPEL qui sont localisés dans la commune de Sô Ava.

On ira d’abord vers les acteurs institutionnels chargés du développement durable, de l’eau et l’assainissement, de l’environnement et la biodiversité, de la santé, de l’agriculture, de la pêche, du tourisme, … qui ont un rôle éminemment important pour l’impulsion et la promotion des activités et des projets porteurs de développement et de bien-être pour les populations.

Les deux projets, étant basés dans le département de l’Atlantique, il va de soi que les structures de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), telles Le Laboratoire d’Ecologie Appliquée (LEA) et le Pôle d’Innovation et de Technologie, pourraient apporter des réponses aux problèmes qui se poseraient dans le cadre du projet, à initier la recherche sur lutte contre la prolifération de la jacinthe (lutte biologique) et sur les innovations en matière de valorisation de la plante, …

Les entreprises innovantes, celles qui œuvrent dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, de la transformation de la jacinthe, etc. seront des partenaires de choix pour s’associer avec nous dans la mise en œuvre de ces projets. Notre but est de fédérer les énergies et les acteurs de développement durables qui souhaiteraient participer et contribuer à la réalisation des objectifs ODD auxquels le Bénin souscrit.

Les ONG actives dans le développement durable, avec lesquelles nous aurons des relations privilégiées, seront d’un soutien incontestable pour sensibiliser, éduquer et former la population aux bonnes pratiques, à l’hygiène et à l’appropriation du progrès technologique pour le bien-être de tous à Sô Ava.

Merci.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

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