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Firmin Tape: « Planter un arbre sans lui garantir la survie c’est rien planter »

Au Bénin, le 1er juin de chaque année est dédié à l’arbre. Dans une interview accordée à Agratime, Firmin Tape, environnementaliste et expert-consultant en gouvernance et gestion des aires protégées et de la biodiversité, livre les enjeux du reboisement pour la survie de l’humanité. Si l’arbre est vital, le planter souvent est indispensable autant que l’entretenir au profit de l’humanité. Lisez plutôt ce qu’en dit l’expert.

On le côtoie chaque jour certes, mais comment peut-on définir un arbre?

Un arbre est un végétal ligneux qui peut atteindre au moins sept (07) mètres de hauteur, à l’âge adulte. Je reviens sur le critère de : végétal ligneux : la lignine est ce qui rend le végétal rigide et dur à l’âge adulte ; la lignine offre à l’arbre la nature de bois. Ensuite, voyons le critère de hauteur à l’âge adulte : un végétal ligneux qui n’atteint pas au moins 7m de hauteur à son âge adulte n’est pas un arbre (peut-être un arbuste, arbrisseau selon sa hauteur). L’exemple simple d’arbre à citer : le teck (Tectona Grandis), beaucoup planté au Bénin.

Quels types d’arbres planter, pourquoi, où et quand ?

D’office, il n’y  a pas un type d’arbre à ne pas planter. Tout arbre peut être planté, d’autant qu’il jouera sa première mission biologique et écologique qui sont les services écosystémiques. Il y a d’innombrables espèces d’arbres. Mais le choix d’une espèce donnée dépend de l’objectif du planteur face à l’utilité de l’espèce et des conditions climatiques du milieu (température, pluviométrie, hygrométrie, rayons solaires, humidité de l’air, sens du vent) et des conditions pédologiques (type de sol, texture, structure, richesse du sol…).

Chaque planteur choisit une espèce en fonction de l’utilité recherchée.

Selon les utilités des arbres, on peut planter un arbre pour son ombre et ses fruits dans la cour de la maison : le manguier par exemple. On peut planter un arbre médicinal pour ses qualités de traitement de certaines maladies : le caïlcédrat pour son écorce qui traite le paludisme. Pour ceinturer un champ et ressortir ses limites, certains préfèrent : Eucalyptus Camaldulensis. Pour le bois d’œuvre, certains plantent le teck. Pour produire des buchettes d’allumettes, il vaut mieux le gmelina, etc. La liste des utilités des arbres est très large. Chaque planteur choisit une espèce en fonction de l’utilité recherchée.

Par rapport aux conditions climatiques et pédologiques, chaque arbre possède une biologie (exigence en eau, profondeur des racines, exigeants en nutriments, température optimale…) qui correspond à un milieu de vie qui peut être favorable à sa survie. C’est pourquoi nous avons des arbres qui épousent certains milieux par rapport à d’autres.

Certains arbres sont plantés pour l’ornement (odeur agréable des fleurs, beauté des fleurs et autres). C’est comme les fleurs jaunâtres du Cassia du Siam. C’est aussi comme les étages que forme la croissance en hauteur du Terminalia Mantaly.

Pour planter un arbre, d’office, il vaut mieux le planter en période de pluie pour lui faire profiter des pluies pour sa survie. Autrement, pour un planteur qui possède un système d’irrigation, il peut planter l’arbre à tout moment de l’année car l’eau d’irrigation est garantie et assurera la survie de l’arbre planté.

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Quels sont les enjeux climatiques du reboisement ?

Les arbres, qu’ils soient plantés des mains d’hommes lors des campagnes de reboisement, ou qu’ils soient des arbres qui poussent naturellement, cela végétalise les milieux et refait la nature. Les arbres contribuent à la régulation des températures, relativement élevées de nos jours. Les arbres réduisent ces températures et rafraichissent l’air ambiant à travers leur ombre et leur transpiration évaporée.

Face aux gaz qui détruisent la couche d’ozone dont principalement le carbone, notons que les végétaux (surtout les arbres) permettent de séquestrer ce carbone et donc participent à la lutte contre le réchauffement climatique. Les arbres jouent toujours leur fonction d’attirer la pluie en favorisant la formation des nuages. Or sans la pluie, que peut faire l’agriculteur de nos milieux, qui dépend uniquement des saisons de pluie pour produire?

Vous évoquez ainsi les enjeux du reboisement en matière d’agriculture. Dites-nous en plus.

Quand les arbres régularisent les températures, ce sont les pluviométries des zones agroécologiques qui sont au beau jour.  Nous constatons que les pluies se font rares ces dernières années, voire une mauvaise répartition de l’eau dans l’espace et dans le temps. Ainsi, vous pouvez avoir des pluies à des périodes de l’année pendant qu’on s’y attend le moins et pas du tout de pluie les moments qu’on l’espère. Ce sont les conséquences néfastes des réchauffements climatiques. Quel que soit le sous-secteur dans l’agriculture, l’eau est importante.

Finalement, les arbres créent un bon climat.

D’aucuns se demanderaient s’il est possible de faire l’agriculture avec les arbres ou sous les arbres. C’est là que je voudrais évoquer l’agroforesterie, une pratique ou dispositif agricole qui permet de laisser cohabiter les cultures agricoles et les arbres de sorte à faire profiter des feuilles décomposées des arbres aux cultures. L’objectif est aussi de pouvoir récolter plusieurs gammes de produits de cette combinaison : arbres + cultures agricoles.

Finalement, les arbres créent un bon climat ; un bon climat favorise les pluies ; les pluies favorisent l’agriculture et la survie des arbres, eux-mêmes. Voilà le vrai enjeu (incontournable) à ne jamais ignorer.

Le Bénin plante de nouveaux arbres chaque 1er juin, ce depuis 39 ans. Pourtant le pays semble ne pas être aussi verdoyant que ça. Un état des lieux médiocre, pensez-vous? Sinon quel est le taux de reboisement au Bénin ?

Le Bénin avec les défis auxquels il fait face et ses conditions écologiques et climatiques est simplement dans un état plus ou moins normal. A priori l’état des lieux n’est pas médiocre.

Le Bénin est verdoyant. On peut l’affirmer. Mais il ne l’est pas avec les arbres uniquement. Il l’est avec tous les végétaux : forêts naturelles, des plantations d’arbres, savanes, des vergers, jardins botaniques, fermes agricoles, des systèmes agroforestiers, les cultures de rentes…

A l’heure, je me réserve de croire au chiffre qui peut être avancé comme taux de reboisement au Bénin. Puisque normalement, le taux de reboisement doit être déterminé par rapport à un objectif de reboisement visé au plan national sur une période donnée. C’est la part reboisée à un temps donné par rapport à l’objectif de départ. Il est différent du pourcentage du couvert forestier qui fait la proportion de surface qu’occupent toutes les forêts ou tous les arbres (plantés ou non) par rapport à la superficie du pays ; et le couvert végétal, lui par contre prend en compte tous les espaces verts du pays, que ce soient d’arbres et d’autres végétaux.

Il faut vraiment un travail par commune pour ressortir les vrais chiffres.

On dit souvent que la nature a horreur du vide. Cela n’est pas vrai dans les pays arides et désertiques comme certains endroits du Mali, du Niger, du Burkina Faso… Mais au Bénin, la nature a effectivement horreur du vide. En effet, la journée nationale de l’arbre instituée pour encourager le reboisement au Bénin n’est qu’un moyen pour venir en aide à la nature, au processus de régénération naturelle des forets au Bénin.

Du Nord au Sud ; de l’Ouest à l’Est, le Bénin possède un climat qui permet à la nature de se végétaliser naturellement. Nous disposons au Bénin des forêts naturelles (issues des régénérations naturelles) et celles artificielles (issues des plantations d’arbres à mains d’hommes). Deux saisons de pluie au Sud et une grande saison de pluie au Nord permettent au sol du Bénin d’assurer la régénération et la croissance des végétaux (mais ceux-ci ne sont pas malheureusement tous des arbres ; on y voit des arbustes, des arbrisseaux, des herbes et autres).

Le deuxième volet à considérer, ce sont les défis de sécurité alimentaire et des terres cultivables face à la pression démographique grimpante que les populations cherchent à résoudre. N’oublions pas les défis liés aux cultures de rente (coton, acajou, cacao, palmiers à huile) et d’autres fruitiers comme orangers, citronniers, pommiers sauvage.

Finalement, pour répondre à tout cela, le Bénin ne peut être un pays verdoyant avec les grandes forêts comme au Gabon, Congo et autres. Il va demeurer verdoyant avec l’ensemble de tous les végétaux et la considération des zones agro écologiques. Le défi est de continuer à planter quand même des arbres sans cesse, en évaluant les taux de reboisement, de couverture végétative, de couverture forestière et en fixant des objectifs de reboisement élevés à atteindre.

arbre
Firmin Tape, environnementaliste et expert-consultant en gouvernance et gestion des aires protégées et de la biodiversité

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Ici, l’entretien des plants est un casse-tête. Comment peut-on expliquer cela et quelles approches l’Etat peut-il adopter pour relever le défi?

Il est peut-être facile de planter un arbre ; mais il est difficile de garantir sa survie. Or celui qui a planté un arbre sans lui garantir la survie n’a rien planté. Les problèmes liés aux entretiens des arbres après plantation sont récurrents et s’observent dans beaucoup de pays de la sous-région. Le cas du Bénin ne m’étonne pas car c’est un cas pareil aux autres.

Généralement, les projets de reboisement prévoient un suivi post-plantation. Mais le problème réside au système mis en place pour le suivi de l’entretien post-plantation. Les personnes et les moyens mis en place pour ce suivi post-plantation peuvent ne pas suffire.

Les approches de solution que je propose, c’est la responsabilisation des populations riveraines à ces lieux où sont plantés les arbres. Il faut les impliquer au début, pendant et après. Après deux ans, un arbre qui a pu survivre peut vivre pour la suite de sa vie s’il n’y a pas une catastrophe naturelle qui aurait perturbé sa survie. Il faut prévoir des récompenses (primes, paiement ou autres formes) aux populations responsabilisées, sur une durée de deux ans. Après deux ans, elles seront payées en fonction du taux des arbres survécus. Durant ces deux ans, les arbres morts doivent être détectés et remplacés. On peut responsabiliser aussi les ONG [Organisations non gouvernementales] et associations qui le souhaitent.

Il faut un suivi, une visite, une fois par semaine pour vérifier les plants morts à remplacer, la transhumance, les feux et autres catastrophes et réaliser de pare-feu après deux ans.

Celui qui a planté un arbre sans lui garantir la survie n’a rien planté.

Qu’en est-il de la responsabilité individuelle des citoyens et quelle part doit-on accorder à l’éducation écologique dans le système éducatif ?

On peut recommander à chaque citoyen de pouvoir planter un arbre par an ; de participer aux campagnes de planting ; de contribuer aux projets de reboisement ; de signaler les sites reboisés non entretenus. Aux particuliers et entreprises, on peut leur proposer d’offrir des plants d’arbres en cadeau aux clients pour encourager le planting.

Aujourd’hui, l’éducation environnementale est importante. On peut proposer aux gouvernants d’insérer cette matière dans le curriculum de formation des enfants du CI [Cours d’initiation] à la classe de troisième au moins, voire la terminale ; avec des incitations aux initiatives écocitoyennes. Je recommande la promotion de cette plateforme partout en Afrique francophone : www.youth-conservaation.org . Elle est une plateforme mise en place par l’UICN-PAPACO [Programme aires protégées d’Afrique et conservation de l’Union internationale pour la conservation de la nature] en faveur de l’éducation environnementale des jeunes.

Propos  recueillis par Emmanuel M. LOCONON

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