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« On doit aider les producteurs à se départir de la logique  de ‘’ produire pour produire’’ »

Au Sénégal, 60% de la population active travaille dans l’agriculture. Le secteur agricole représente environ 18% du Produit intérieur brut (PIB) national. Pour Ndèye Aïssatou Diop, ingénieur agronome sénégalaise, « c’est assez conséquent ». Elle est chargée de développement des capacités au niveau du Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (Coraf) qui intervient dans 23 pays en Afrique de l’ouest et du centre. Récemment au Bénin dans le cadre d’une formation du Coraf, nous lui avons tendu notre micro au sujet des défis agricoles du Sénégal. Voici le résultat.

Agratime : Vous êtes au Bénin dans le cadre d’une formation des agriculteurs-multiplicateurs du réseau national des femmes et jeunes semenciers, organisée par le Coraf. Quels sont les tenants et aboutissants de l’atelier ainsi que les perspectives ?

Ndèye Aïssatou Diop : Effectivement, je suis ici en tant que représentante du Coraf qui a bien voulu organiser cette formation nationale-là. C’est une formation pour les femmes et les jeunes qui sont leaders dans le secteur semencier. L’initiative est mise en œuvre dans tous les pays d’intervention du Coraf. Chaque année, on choisit un certain nombre de pays qui vont bénéficier de cette formation. Pour l’année 2023, le Bénin fait partie des cinq pays qui ont été choisis comme bénéficiaires de cette activité. Laquelle activité s’insère dans le plan stratégique de développement du Coraf puisque le Coraf est dans la recherche et le développement agricoles. Dans le cadre du Projet des organisations régionales et sous régionales africaines de l’ex-pilier 4 pour la recherche et l’innovation agricole (CAADP-XP4), le projet qui porte cette activité-là, on fait beaucoup plus la promotion des technologies et des pratiques climato-intelligentes.

Quand on parle de technologies et pratiques climato-intelligentes, on ne peut pas en parler aujourd’hui sans pour autant considérer le premier intrant de production qui est la semence. C’est pour cela qu’on a aussi accompagné et renforcé les capacités des jeunes et femmes qui sont actifs dans le secteur de la chaine de valeur semencière, sur tout ce qui est législation semencière, techniques de production – c’est-à-dire comment on produit une semence, depuis l’approvisionnement de la semence de pré-base jusqu’à la récolte de la semence –, et comment on doit gérer une entreprise semencière. Donc en plus de l’aspect technique, on a vraiment pris en compte l’aspect managérial dans le sens où c’est très important d’avoir cette capacité technique mais aussi c’est tout aussi important d’avoir cette capacité organisationnelle, managériale et financière de l’entreprise.

En parlant des perspectives, le Coraf compte actuellement accompagner ces femmes et ces jeunes qui sont actifs dans le secteur semencier à formaliser leur réseau – le réseau national des femmes et jeunes actifs dans le secteur semencier du Bénin. En 2022, le Coraf les avait accompagnés à initier ce début de formalisation, mais on veut les accompagner à mener à bout le processus de formalisation, et les accompagner dans le sens où on va les intégrer dans un réseau continental qui est en train d’être mis en place par le Coraf en collaboration avec les différents pays dont le Bénin.

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Ingénieur agronome d’origine sénégalaise, vous êtes citoyenne d’un pays dont plus de 55% de la population est rurale. Quelle est alors la part de l’agriculture dans l’économie du Sénégal ?

L’agriculture, c’est comme le cas de tous les pays africains ou en Afrique de l’ouest, occupe plus de la moitié de la population sénégalaise. 60% de la population active, c’est-à-dire 60% des personnes en âge de travailler sont dans le secteur agricole. Vous imaginez un peu son importance. Et quand on parle de la contribution de l’agriculture dans le Produit intérieur brut (PIB) national, ça tourne autour de 17 ou 18%. C’est assez conséquent en termes de représentativité de l’agriculture dans l’économie nationale. Dans cette part de population active dans le secteur agricole, il y a les femmes et les jeunes qui sont très bien représentés aussi. C’est vraiment une activité qui engage la plupart de notre population.

Dans un contexte de changements climatiques, quelle est l’importance de la maîtrise de la météo dans la résilience des ménages agricoles au Sénégal ?

Le phénomène des changements climatiques est l’aspect qui est vraiment de plus en plus présent dans le pays. Nous on émet que 3% des émissions de gaz à effet de serre, mais l’impact sur notre pays est beaucoup plus grand, plus considérable. Effectivement quand il y a ces genres de phénomènes-là, comme le changement climatique, il faut forcément essayer de mettre en place des stratégies de résilience dont la météo.

Pourquoi on dit météo ? Quand je prends l’exemple du Sénégal, c’est un pays dont l’économie est fondée sur les cultures. Les cultures chez nous sont essentiellement pluviales. Ça veut dire qu’on n’a pas une certaine maîtrise de l’eau. Dans ce cadre, l’accès aux informations climatiques, notamment en termes de pluviométrie ou bien même avoir accès aux prévisions climatiques peut vraiment être un levier qu’on pourrait activer pour favoriser la résilience des producteurs.

Si l’Agence nationale de l’aviation et de la Météorologie (ANACIM) met à la disposition des producteurs ces informations-là, cela va leur permettre, aux petits producteurs de façon générale, de pouvoir bien planifier leurs cultures : savoir les bonnes périodes de semis, les bonnes périodes d’épandage d’engrais et les bonnes périodes de récolte. C’est vraiment un levier à activer pour favoriser la résilience des producteurs.

En tant qu’une passionnée du secteur primaire, comment pensez-vous que les femmes et les jeunes peuvent-ils pleinement contribuer à la construction de chaines de valeur agricoles sécurisées ?

Effectivement je suis une passionnée du secteur dans la mesure où non seulement pour des raisons professionnelles, puisque j’ai fait des études là-dessus, mais j’ai été également au contact des communautés rurales et j’ai vu les difficultés de façon générale qu’elles rencontrent dans leur quotidien et dans leurs activités économiques. Aujourd’hui, les femmes et les jeunes sont vraiment présents dans l’agriculture de façon générale mais ils sont présents dans tous les maillons de la chaine de valeur.

Si vous prenez l’exemple de la chaine de valeur semencière, il y a beaucoup de femmes au Sénégal qui s’activent de plus en plus dans la production de semences. Vous prenez également la production de riz de consommation, de niébé et d’autres cultures céréalières comme horticoles, les femmes et les jeunes sont toujours présents dans tous les maillons de la chaine de valeur. Moi je me dis qu’ils occupent une place importante, très importante. Il serait donc bien qu’on mette en place des politiques en faveur du renforcement de leur positionnement dans ces chaines de valeur agricoles.

Que pensez-vous de l’agriculture en Afrique de façon générale et quels leviers les gouvernants d’Afrique doivent-ils activer pour assurer vraiment son essor ?

L’agriculture africaine est incomparable par rapport aux années 60. On a connu vraiment un boom, un accroissement de notre production et de notre productivité de façon générale. Beaucoup d’efforts ont été faits en Afrique dans l’accès aux semences de qualité. Avant, on utilisait beaucoup plus les semences locales qui avaient un certain niveau de rendement pas très satisfaisant. Maintenant, on a des semences hybrides que nos populations ont su développer à travers la sélection variétale. Ce qui est de la maîtrise de l’eau, c’est vrai qu’en majorité notre agriculture est essentiellement pluviale, mais on voit de plus en plus des efforts qui sont en train d’être faits pour favoriser la maîtrise de l’eau à travers des aménagements hydroagricoles un peu partout dans les différents pays. On parle également de la mécanisation agricole. Avant, c’était la force humaine qui était utilisée. Maintenant, de plus en plus il y des programmes et des stratégies de mécanisation de nos exploitations agricoles.

En termes de production et de productivité, on a vraiment fait des efforts considérables, mais il reste toujours un manque à gagner, il reste un gap à combler. Cela est dû à la méthode de nos politiques. Celles-ci sont en général en faveur de l’accroissement de la productivité et de la production. Mais après, on n’investit pas suffisamment dans la post-récolte. Je vous donne juste l’exemple du Sénégal où en termes de production d’oignons, on peut dire que nous on est autosuffisants puisqu’on produit plus de 400 mille tonnes alors que notre besoin s’élève à trois cent et quelque mille tonnes. On peut donc dire que le Sénégal est autosuffisant parce qu’il arrive à produire plus que ce dont il a besoin.

Mais paradoxalement, on importe toujours d’oignons au Sénégal car on n’a pas suffisamment investi dans les infrastructures de stockage pour permettre aujourd’hui à ce surplus de production-là d’être stocké et qu’au fur et à mesure, en fonction des besoins du marché, que l’on puisse déstocker et permettre à la population de s’approvisionner. C’est également le cas du Ghana qui produit le cacao et qui n’arrive pas à transformer réellement, un cacao qui est exporté. En exportant notre matière première, on exporte aussi de l’emploi au détriment de notre population.

L’agriculture africaine s’est développée de façon générale, mais il y a beaucoup plus d’efforts qui doivent être consentis au niveau de la post-récolte pour favoriser vraiment l’essor de notre chaine de valeur agricole.

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En conclusion…

Ma conclusion, ce sont des mots d’encouragement et de repositionnement de nos politiques. Je pense que nos politiques africaines doivent être en relation avec l’agriculture, revues, plus orientées marché.

On doit vraiment aider, encadrer les producteurs à se départir de cette augmentation de la production, à se départir de cette logique de « produire pour produire », mais ils doivent beaucoup être dans une logique de « produire pour vendre, produire pour commercialiser ».

Et pour cela, il faudrait des politiques vraiment orientées marché, des politiques ‘’développement chaine de valeur agricole’’. Ce qui va faire que notre secteur ou bien nos chaines de valeur de façon générale seront vraiment prospères et très viables.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

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