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Dr Honoré Tabuna : « La recherche agricole doit s’inspirer du marketing »

Dans cet entretien, le Dr Honoré Tabuna, commissaire, chef de Département Environnement, Ressources Naturelles, Agriculture et Développement Rural à la commission de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) souligne l’importance pour la recherche agricole en Afrique de s’ouvrir au marketing. Il met en évidence le rôle indispensable des chercheurs dans l’innovation agricole et insiste sur la nécessité de valoriser économiquement les résultats de la recherche. Il aborde également les défis liés à l’investissement dans l’agriculture et propose des solutions pour atténuer la migration des jeunes talents africains. Enfin, il souligne l’urgence de protéger l’environnement et d’imiter la nature pour réussir dans l’agriculture. Nous avons échangé avec lui dans le cadre de la 14ème Assemblée générale du Coraf tenue à Cotonou.

Agratime : Quelles sont vos appréciations des conclusions de l’Assemblée générale du Coraf qui a duré du 15 au 17 avril 2024 à Cotonou ?

Dr Honoré Tabuna : J’ai le sentiment de satisfaction parce que sans la recherche, vous ne pouvez pas vous développer. Comme je l’ai dit tantôt, c’est avec l’innovation. L’innovation vient avec la recherche. Sinon, vous faites du surplace. Donc, en matière d’agriculture, on a vu qu’ils ont fait des avancées. Il reste le deuxième pas : comment vendre ce qu’ils savent faire ? Comment donner de la valeur, comment ajouter de la valeur, mais de la valeur économique à ce qu’ils font, pour que ceux qui font de la recherche puissent y gagner de l’argent. Voilà pourquoi j’ai dit que Coraf, c’est une entreprise, c’est une organisation, même si c’est à but non lucratif. Donc, toute sa démarche doit s’inspirer de la démarche marketing. Aujourd’hui, ils travaillent beaucoup avec leurs partenaires, ça c’est un de leurs clients. Mais les autres clients, le secteur privé, les parlementaires, les associations des maires, les gestionnaires des marchés. Comment aller vers eux ? Donc là aussi il faut une innovation comme j’ai dit. Comme nous sommes spécialistes de l’innovation technologique, on doit passer maintenant à l’innovation organisationnelle, managériale, marketing pour aller vers ces personnes-là, retravailler leurs produits, aller poser la question. Puisque maintenant ils savent faire. Maintenant, comment faire pour satisfaire ? Parce qu’on vient au monde pour chercher d’abord à satisfaire l’autre. Voilà pourquoi en marketing, on demande d’abord de vendre avant de produire.

Il est martelé au cours des échanges que « L’agriculture est l’avenir de l’Afrique et l’Afrique est l’avenir de l’agriculture ». De ce fait, en quoi la recherche agricole pourrait contribuer à la sécurité alimentaire sur le continent ?

Justement c’est pour traduire en fait ce que vous venez de dire. Politiquement, dans le jargon du développement, c’est beau. Mais concrètement, c’est quoi ? Donc, il faudrait alors faire du marketing. Que ce ne soit pas seulement la recherche technologique comme je l’ai dit. C’est la recherche qui doit donner la réponse à la question que vous venez de poser. Comment faire pour que ça soit l’avenir ? Aujourd’hui, quand vous regardez les pays occidentaux, ils consomment quoi ? Si vous enlevez le navet et la carotte, tout ce qu’ils consomment vient de l’extérieur. Banane, café, cacao, tomate, haricot, blé, tout ça vient de l’extérieur. Ça veut dire que sur tous les marchés européens, les marchés nationaux, nous devons y être présents. Voilà pourquoi j’ai parlé des marchés. Ce sont les marchés qui vont orienter. Nous avons besoin de ceci ou cela, chercheurs fabriquez ce produit. Dans les pays occidentaux, les populations rurales sont en train de baisser. Il faudrait bien les nourrir. Et ça peut venir de l’Afrique. Nous aussi, on est 1,2 milliard, donc c’est la recherche qui doit pousser. Comment augmenter les productions ? Comment répondre aux attentes des marchés ? La recherche, c’est la clé. Mais je dis qu’il ne faut plus faire que de la recherche. Est-ce qu’avec la recherche, on peut gagner de l’argent ? Il faut aller à l’économie de la recherche. On parle de l’économie de la culture, l’économie du climat. Donc nous, il faut qu’on commence à faire l’économie de la recherche. Aller sur le terrain, identifier les besoins, tester les nouveaux produits, c’est de la recherche.

Il est reproché très souvent aux gouvernants dans la sous-région ouest et centre africaine de ne pas respecter leur décision d’investir au moins 10% du budget national dans l’agriculture. À l’issue de l’AG du Coraf, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ?

Je reviens à la même chose. C’est parce que les chercheurs n’ont pas vendu cette idée-là. Un homme politique, de quoi a-t-il besoin ? Il veut créer des emplois. Il a des priorités. Si je mets de l’argent dans la recherche, il y a des arbitrages. Donc il faut que les chercheurs fassent tout pour que la recherche devienne une priorité. C’est ça en fait. C’est comme vous si demain votre petit frère vient vous demander, grand frère donne-moi 10 000 francs. Quelle sera votre question ? Lui demander ce qu’il fera avec l’argent. Mais s’il commence par exemple par : ah moi j’ai trouvé quelque chose de bien, ça va arranger, la question va changer. La question sera maintenant, de quoi as-tu besoin ? Moi j’étais un ancien chercheur, mais j’ai fait autre chose en dehors de la recherche : le marketing. Et j’ai compris que c’est le problème de la recherche. Si vous voulez faire de la recherche, restez tranquille, le marché va vous orienter. Avant, quand les téléphones sont venus par exemple, il y avait des téléphones à clapet. On a changé. Mais qui dit ça ? C’est le marché. Tous les jours, les marques descendent sur le marché, en train de poser de questions. Donc c’est ça qui manque. Il faudra faire ce travail.

Comment, à travers les politiques agricoles, les gouvernants pourront-ils atténuer la situation migratoire des jeunes compétences en Afrique ?

Il faut créer des emplois, c’est des emplois qu’il faut créer. Si on va vers les marchés, on développe les marchés, on est obligé de développer l’agriculture. Les gens ne vont plus voyager. Parmi les gens qui voyagent, et je prends par exemple l’Italie, vous allez voir des jeunes Burkinabés qui sont dans l’agriculture là-bas. Pourquoi ils vont là-bas ? Parce qu’il y a l’emploi. Or, ce qu’ils font là, si les gens pouvaient se dire, bon, nous on va le faire ici, qui ira en Europe ? Moi, j’ai vécu 17 ans en Europe. C’est très difficile. Le politique, il faut souvent lui dire qu’il a des intérêts comme toi tu as des intérêts. Qu’est-ce qu’il gagne là-dedans ? Or la plupart des chercheurs ne savent pas répondre à ces questions. Je leur ai dit qu’il faut qu’ils s’ouvrent aux chercheurs en marketing. Il doit y avoir un département de la recherche fondamentale, des gens qui font aussi du droit. Avant que je sois dans la politique, j’étais chercheur, mais avant d’être chercheur, je travaillais pour les entreprises. Après tout, les entreprises, c’est du concret : qu’est-ce qu’on fait ? On va où ? Combien on gagne ? Combien on investit ? Le monde que vous voyez là, la clé c’est du business.

Avec la perspective de la révision de la politique agricole de la CEDEAO, est-ce que vous voyez un avenir vraiment prometteur pour l’agriculture en Afrique ?

Oui, mais bien sûr qu’il y a un avenir, puisque nous sommes là, puisqu’on en parle. Vous voyez que tout le monde est d’accord qu’il faut que ça change. Donc ça veut dire qu’avant de faire ces politiques agricoles, il faut, autour de la table, associer tout le monde : les ministres du commerce, les ministres de l’intérieur, tout le monde doit être là. Si vous voulez que les scientifiques soient là. On fait la politique pour vendre. Il faut que vous compreniez ça. Le marketing c’est la base de la vie.

Pendant que les questions de changements climatiques sont discutées ici, à Dubaï, l’inondation sévit. Peut-on parler d’hécatombe ?

Non, ce n’est pas l’hécatombe. Vous voyez même des pays qui sont organisés, vous avez vu en Russie dernièrement. Donc ça aussi, ce sont des outils naturels d’éveil. Cela veut dire que nous devons faire attention à notre environnement. Nous devons le protéger. Parce que quand on voit l’environnement comme ça, c’est le fruit de l’évolution de 4 milliards d’années. Si nous observons bien l’environnement, nous n’aurons pas de problème, mais ce n’est pas ce qu’on fait.

Même en matière d’agriculture…

Oui. Tout, tout, tout. En matière agricole, c’est quoi l’agriculture ? On a copié la nature, on a domestiqué. L’élevage, on a regardé la nature, on a élevé. Tout est dans la nature. Quelle opportunité, quelle chance ! Le monsieur qui a inventé l’avion parce qu’il a vu l’oiseau, n’est-ce pas ? Celui qui a inventé le Caterpillar parce qu’il a vu les chenilles. Vous savez, quand on voit ça, c’est la nature. Pour construire une maison, on commence par le plan, la fondation. La graine, si vous la mettez sous terre, la première chose qu’elle fait avant de se lever, c’est la nature qui commande, regardez la nature. Si vous copiez la nature, vous allez réussir.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON et Auriol HOUDEGBE

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