Nantie à elle seule de 60 pour cent des terres arables du monde, l’Afrique traine cependant les pas au plan agricole. En plus des facteurs économiques et politiques, le continent, confronté à la crise climatique, bourlingue. L’appauvrissement des sols freine le rendement agricole et accélère l’insécurité alimentaire. D’Abuja à Nairobi, passant par Lomé et Cotonou, une solution pour libérer le potentiel agricole de l’Afrique est connue : fertiliser les sols africains.
Les bouches à nourrir augmentent sur la planète, mais pas au prorata des aliments disponibles. De 2,6 milliards d’habitants en 1950, la population mondiale a franchi la barre des huit (8) milliards en novembre 2022, avec une projection de plus de neuf (9) milliards à l’horizon 2050. Derrière l’Asie, l’Afrique abrite 1,3 milliard de personnes et fait face à un défi démographique énorme avec une population jeune. « Une démographie galopante, source de besoins alimentaires croissants », analyse Bruno Vindel, chargé de mission « politiques alimentaires » à l’Agence française de développement, dans un article.
L’accentuation de la crise alimentaire mondiale et de la faim sont des éléments qui alertent. A l’évidence, l’Union africaine devra s’armer de son côté pour assurer souverainement la sécurité alimentaire et nutritionnelle de ses nombreuses populations. La disponibilité des aliments passera forcément par l’augmentation des rendements agricoles. Mais ces rendements se heurtent aujourd’hui entre autres à la crise climatique. Les terres n’étant plus aussi fertiles pour la production, l’utilisation des engrais pourrait améliorer leur santé et accroître la productivité.
« La production agricole en Afrique a augmenté d’environ 4,3 pour cent par an depuis 2000, mais cette augmentation est principalement due à l’expansion de la superficie cultivée plutôt qu’à l’augmentation de la productivité. En effet, les rendements des principales cultures céréalières ont stagné à moins de 25% de leur potentiel de rendement. Les faibles rendements sont largement attribués au manque d’accès aux intrants, aux technologies et aux services de conseil, ainsi qu’à la faible efficacité des intrants dans le contexte pluvial, où la variabilité climatique associée au changement climatique, caractérisée par des sécheresses et inondations fréquentes, entraîne une réduction des rendements », décrit l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Ainsi, l’adoption à Lomé, en mai 2023, de la feuille de route sur les engrais et la santé des sols en Afrique de l’Ouest et du Sahel était un signal fort pour catalyser l’essor agricole de la région. « Le développement du secteur agricole dans la région est fortement entravé par la mauvaise santé de sols, caractérisée par leur carence en nutriments, elle-même liée à un déficit d’apport en engrais », fait état le document consulté par Agratime. Sur l’utilisation de 50 kg d’engrais par hectare recommandée, à atteindre avant 2015 (Abuja, 2006), 20 kg sont utilisés (IFDC, 2020), très loin de la moyenne mondiale qui est de 146 Kg par hectare.
D’Abuja à Nairobi, faire le point des engagements
Réunies à Nairobi, du 7 au 9 mai 2024, les forces vives de l’Union africaine remettent sur le tapi la problématique. Le sommet africain sur les engrais et la santé des sols prend l’allure des états généraux. Axé sur le thème « Ecouter la terre », il entend évaluer l’état de la santé des sols africains. Occasion d’examiner les progrès dans la mise en œuvre des engagements pris par les Etats africains pour stimuler l’utilisation des engrais. La présence du Centre international pour le développement des engrais (IFDC) à ce rendez-vous dénote de l’engagement de cette organisation à offrir aux producteurs des solutions durables pour accroitre leur productivité et leur revenu.
Stimulateur de l’innovation agricole en Afrique, le Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (CORAF) est aussi présent aux assises. Ceci, après l’organisation en avril 2024 de sa 14ème assemblée générale à Cotonou, au Bénin. Aussi, le Fonds international de développement agricole (FIDA) n’a pas voulu rester en marge des débats sur les questions liées à l’agriculture et surtout à la dégradation massive des sols. Il organise, en marge du sommet de Kenya, deux rencontres et une session parallèle. La gestion intégrée de la santé des sols, le rôle de l’agroécologie, l’agriculture régénérative, les engrais organiques et biologiques seront au menu de ces rencontres.
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Tripler la production et la distribution d’engrais
Comme à Abuja en 2006 et à Lomé en 2023, la rencontre de Nairobi accouchera d’une déclaration. La feuille de route de la CEDEAO sur l’engrais est élaborée autour de quatre axes prioritaires, avec comme premier engagement phare, d’ici dix ans, de tripler la production et la distribution d’engrais jusqu’au dernier kilomètre. Le sommet de Nairobi semble s’inscrire dans la même vision décennale.
« Nous attendons de cet événement les quatre priorités suivantes. La première est la déclaration de Nairobi, la deuxième est le plan d’action sur 10 ans sur les engrais, la troisième est une initiative sur les sols pour le cadre africain et la dernière est le mécanisme de financement du plan d’action », a déclaré Josefa Sacko, commissaire chargée de l’agriculture, du développement rural, de l’économie bleue et de l’environnement durable (ARBE).
Aussi bien la table ronde le Lomé sur les engrais et la santé des sols que le sommet de Nairobi ont un point convergeant : accroitre l’accès aux engrais en augmentant la production locale et étendre le système de livraison du dernier kilomètre en Afrique. De sorte à nourrir ces millions de personnes qui remplissent le sol africain.
« L’objectif est que d’ici 2033, au moins 70 % des agriculteurs africains soient reliés à des marchés d’intrants accessibles et abordables ainsi qu’à des services de vulgarisation agricole. Le continent a de nombreuses réussites à partager et s’attaque activement et collectivement aux problèmes dans le cadre de son plan de développement sur 50 ans, l’Agenda 2063 », lit-on sur le site du Sommet.
A l’issue des trois jours de travaux à « Ecouter la terre », le potentiel agricole de l’Afrique parviendra-t-il à être libéré ? L’espoir fait vivre, dit-on.
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