Actualitésagro-businessInterview
A la Une

Maïs cher au Bénin: « Qu’on interdise l’exportation ne change pas grand-chose » [Entretien]

350FCFA (0,57 dollar américain), 400FCFA (0,65 dollar américain),… au Bénin le maïs devient cher. Selon José Herbert Ahodode, agronome, spécialiste en accès inclusif au financement agricole, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation qui n’est pourtant pas nouvelle. L’offre actuelle du maïs étant inférieure à la demande nationale, analyse-t-il, les commerçants spéculent au détriment des consommateurs dont le pouvoir d’achat reste limité. Face à cette réalité du marché, interdire l’exportation du maïs relève, certes, du rôle régalien de l’Etat, mais cette mesure n’est pas la panacée: sinon « Il faut PRODUIRE davantage » en mettant chaque acteur face à ses responsabilités. 

Agratime: Quelle appréciation faites-vous des prix du maïs grain sur le marché ces derniers jours, d’abord en tant que consommateur et ensuite en tant qu’agronome ?

José Herbert Ahodode: Les spéculations sur les prix de denrées agricoles ne sont pas une nouvelle réalité. Depuis toujours, il y a eu des périodes de pénurie et d’autres dites « d’abondance » dans la disponibilité des stocks de maïs. Le consommateur que je suis se rend compte que les prix ont flambé, ces dernières semaines. Sachant que le maïs entre dans la composition des mets de premier choix au Bénin, il est indéniable que presque toutes les familles béninoises sont affectées.

Si je porte ma casquette d’agronome, je dirai qu’il s’agit d’une conséquence de pénurie. En ce moment, les stocks de maïs ont de l’enchère. Le produit disponible est cher parce que l’offre est inférieure à la demande ; c’est la loi du marché. Cela devrait nous pousser à produire davantage du maïs pour satisfaire nos besoins locaux ainsi qu’exporter, pour les devises et les bienfaits de l’export dans les économies d’échelle. Le constat alarmant est que nous n’arrivons pas encore à nous autosuffire et qu’une bonne partie de notre production, par voie détournée, se retrouve sur des marchés dans les pays voisins. Encore une fois, il est capital de produire puis de mettre en place des mécanismes de constitution de stocks tampons, réservés pour alimenter les populations pendant les périodes de soudure. Confier la constitution de stocks de maïs aux commerçants/revendeurs est une mesure contre-productive. Mais c’est le business et c’est clairement une activité lucrative pour de nombreux particuliers. Mon point est que l’Etat dispose d’une responsabilité d’assurer la souveraineté alimentaire en prenant les mesures idoines.

LIRE AUSSI José H. Ahodode, agronome : « Nous ne sommes pas des conseillers agricoles ‘’sans fermes‘’ »

Raisons climatiques, cherté des instants,… Qu’est-ce qui peut expliquer, selon vous, l’augmentation du prix de maïs observée actuellement sur le marché ?

Je commençais à en parler plus haut. C’est la loi du marché. Ceux et celles qui ont pu constituer des stocks s’en mettront pleins la poche quand il y a pénurie. Les acteurs le savent quand les grands magasins commencent par se vider, c’est un signe qu’il y aura une forte demande, dans les mois qui suivront. J’ai de plus en plus du mal à attribuer les maux du secteur agricole aux raisons climatiques. La pluviosité n’a pas fait défaut la saison dernière. Et puis, nous sommes à une époque où des mécanismes de mitigation existent par centaines et sont promus par les PTF pour accroitre la capacité de résilience des producteurs. Il se trouve fondamentalement que les enjeux sont multiples, depuis les semences, à la récolte et constitution de stocks de maïs en passant par les intrants. Dans les zones de production du coton, l’engrais bénéficie au maïs. Ailleurs, il faut de plus en plus débourser de l’argent (puisque cette culture ne reçoit de subventions) pour acquérir des intrants. Parfois, vous avez l’argent et l’engrais n’est pas disponible où un clientélisme (le plus offrant) s’installe chez les distributeurs d’intrants, toujours en raison de la pénurie.

On peut aller plus loin en évoquant les pratiques culturales qui ne font pas booster la productivité. Les enjeux sont multiples et les différents acteurs font le nécessaire. Mais ce qui est capital, ce serait de prendre des directives publiques pour le contrôle des prix. L’Etat est garant de la sécurité alimentaire des populations. Il est donc possible de penser à des dispositifs de stabilisation des prix, quelque soient les tendances du marché. On peut y arriver si des stocks de souveraineté sont disponibles. Il ne s’agit pas, encore une fois, de recevoir du maïs des USA ou d’ailleurs. Parce que nous avons d’énormes capacités de production encore inexploitées. Donc il est important pour nous de renforcer la production pour nous nourrir et vendre le reste. Et pour ne pas finir, il faut des magasins de stockage sur tout le territoire national. Des besoins d’investissement énormes.

Quels sont les impacts socio-économiques de cette situation qui fait polémique ?

J’en ai parlé. Il y a de fortes spéculations qui se créent. Le problème des uns (consommateurs) fait le bonheur des autres (commerçants). Les intermédiaires et autres acteurs de la chaine de commercialisation gagnent plus en périodes de pénurie. La crise économique est patente, à y voir le vécu quotidien du Béninois. Dans un contexte d’inflation, il est évident que le pouvoir d’achat s’est érodé avec pour conséquence la réduction du panier de la ménagère. Quand une dame « Fatou » va au marché, elle n’a plus la même quantité de vivres dans son panier avec 2000 FCFA en 2024 que dans les années antérieures. C’est l’effet de la crise économique.

Sur le plan alimentaire, des alternatives au maïs commencent par entrer dans le plat quotidien des populations. Quand un Béninois lambda ne peut pas s’offrir le luxe d’acheter du maïs à 400 FCFA le kilo, il modifie son alimentation en misant par exemple sur les dérivés du manioc comme le gari. C’est une triste réalité et je pense qu’il s’agit d’une responsabilité collective si nous ne réussissons pas à nous nourrir nous-mêmes. L’agriculture étant l’un des secteurs prioritaires du Bénin, il faut davantage d’investissements massifs dans ce secteur, puis une meilleure structuration des acteurs. Tout le Monde a une partition à y jouer. Du coté des gouvernants, il est indispensable de disposer de politiques publiques pour anticiper les enchères et apporter des mécanismes de soutien aux populations (des subventions, des constitutions de stock, etc.). Nous avons un grand défi du financement de la production agricole et je m’y intéresse de plus en plus et davantage ces derniers temps en raison de mon occupation professionnelle actuelle. Nous travaillons sur des mécanismes institutionnels qui se constateront dans les prochains mois et années. Puisqu’il est important que les structures publiques jouent leur partition.

En ce qui concerne les acteurs, les producteurs et leurs organisations, il est davantage besoin de structuration. Les coopératives et groupements sont des entités économiques. C’est important de porter des plaidoyers pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des producteurs. Les organisations paysannes le font très bien. Il faudra plus produire, c’est indéniable. Mais comment le faire, et surtout aller vers des regroupements de synergies afin de porter des entités économiques de production/commercialisation à grande échelle. Connaissez-vous les plus grands producteurs de maïs au Bénin ? C’est important d’avoir de grands acteurs en raison de la forte demande. Les industries sont aussi demandeuses. Donc il faudra produire pour l’alimentation mais aussi pour l’industrie nationale et internationale. Comment le faire, dans un contexte où les terres s’appauvrissent davantage ? C’est tout le dilemme et j’encourage chacun.e à apporter sa pierre à l’édifice.

LIRE AUSSI Cherté du maïs au Bénin : « Cette situation ne peut pas durer »

L’ATDA 2 a sorti dernièrement un communiqué soulignant entre autres la possibilité pour l’État d’interdire à nouveau l’exportation du maïs afin de maîtriser la spéculation, comme se fut le cas en 2022. Quelle analyse faites-vous de cette mesure entrevue ?

C’est de la prérogative de l’Etat de prendre des mesures pour sécuriser l’alimentation des populations. C’est après l’assurance de l’alimentation locale que le surplus peut aller sur des marchés extérieurs. Dans un contexte où la production est limitée, le protectionnisme du « ventre » des béninois.e.s devraient primer sur la vente du maïs dans les pays voisins. Mais qu’on interdise l’exportation ne change pas grand-chose puisqu’étant sur le terrain, nous voyons les produits circuler par voie détournée. Même les barrières douanières et taxes ne réussissent pas à limiter les commerçants au regard de la porosité de nos frontières et des faibles capacités de contrôle. Donc c’est une fuite en avant de miser sur l’interdiction. Il faut PRODUIRE davantage !

Au plan large, comment éviter cette situation les années à venir, surtout dans un contexte de changements climatiques où Météo Bénin annonce une pluviométrie tardive et perturbée ?

Revoir la mise en œuvre du conseil agricole. Il s’agit d’un défi de taille pour améliorer les capacités productives des acteurs. Les producteurs sont conscients des enjeux, ainsi que les organisations paysannes. Il se trouve que ces acteurs font face à de multiples contraintes auxquelles les partenaires publics/privés peuvent apporter des solutions. Le changement climatique ne date pas d’aujourd’hui et des approches multiples existent pour s’y adapter. Mais ces approches ne sont pas assez vulgarisées au niveau des producteurs. Plusieurs projets/programmes s’y consacrent mais les besoins sont énormes… Sans compter tous les autres défis du secteur qui grèvent la compétitivité prix du maïs béninois. On est d’accord que c’est cher de payer le maïs à 400 FCFA le kilo. La crise économique a gagné la majorité des ménages. Comment faire ? Il faudrait mettre chaque partie prenante face à ces responsabilités.

Des mesures de subventions sont possibles afin de faciliter l’accès des producteurs à des semences à haut rendement (d’où l’implication de la recherche scientifique). Que les producteurs produisent et que les acteurs étatiques accompagnent via un certain nombre de mécanismes structurés pour éviter les pénuries et les inflations de prix. Selon la DSA, on est autour d’un million 500 de tonnes de production de maïs par an au Bénin ; ce n’est clairement pas suffisant pour nourrir 12 millions de bouches et espérer vendre le surplus dans le reste du Monde, en commençant par les pays africains voisins… Entre autres mesures, et pour mieux protéger la production locale de maïs, il est toujours possible de mettre la pression fiscale sur les exportations afin de contrer la flambée des prix car la sortie du maïs vers les pays voisins est l’une des causes de la cherté du produit au Bénin. C’est une mesure dissuasive (pour les exportateurs) mais il faut éviter que le poids du surcoût ne retombe sur les producteurs et les consommateurs !

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

LIRE AUSSI Pomme de terre : le tubercule a désormais sa journée internationale

Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
%d blogueurs aiment cette page :

Adblock détecté

S'il vous plaît envisager de nous soutenir en désactivant votre bloqueur de publicité