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COVID-19 au Bénin : « Nous avons connu une chance au niveau de la filière soja »

Pendant que plusieurs filières agricoles du Bénin agonisent sous les effets socio-économiques de la crise du coronavirus, la filière soja semble être épargnée puisque les statistiques annoncées pour la campagne 2019-2020 affichent une production de 275.000 tonnes et un taux d’exportation de près de 87% soit 240.000 tonnes. Selon Patrice SEWADE, coordonnateur de l’association Sojagnon, l’un des des acteurs clés de la filière, la bonne santé de la filière malgré les effets de la COVID-19, résulte de l’appui et de l’intérêt constant du gouvernement pour soutenir la production. Entretien.

AGRATIME : Avec une production en nette augmentation, peut-on dire que la  filière soja a-t-elle été affectée par  le coronavirus ?

P.SEWADE : Toutes les filières agricoles ont été touchées d’une manière ou d’une autre, et les acteurs aussi. Mais nous avons connu une chance au niveau de la filière soja. La campagne étant lancée en décembre 2019, les prix ont été fixés par le gouvernement. En tant que structure d’appui, nous avons mené une action de communication en direction de tous les acteurs et des producteurs pour rapidement sortir les produits et en faisant un marketing pour un peu augmenter le prix. Nous étions à 2 mois de la fin de la campagne quand la COVID-19 est intervenue. L’impact concerne le futur. Nous apprécions les mesures de barrière instaurée par le gouvernement et la levée du cordon rassure les acteurs que l’activité économique a effectivement redémarré.

Comme le prix plancher est 175f, nous avons pensé qu’il n’est pas question de vendre à moins de 200f. Les coûts mondiaux étaient favorables pour les acheteurs. Du coup, ils étaient nombreux sur le terrain à acheter massivement pendant cette période où il n’y avait pas la COVID-19. Le maximum de la production a donc été regroupé, collecté et acheminé au Port de Cotonou puis expédié. Mais la COVID-19 est intervenue pendant une période où certaines quantités devraient être ramassées et acheminées au Port et il y avait le cordon. Ce cordon a bloqué ces stocks à la hauteur de Bohicon, Allada et Pahou. Ces productions n’ont pas pu accéder au Port. Et ceux qui devraient acheter encore les quantités qui restent ne peuvent plus parce que les firmes qui demandent le produit sont rentrées en confinement. Ils ne pouvaient plus manifester de demande et il n’y a plus de trafic fluvial. Les demandent sont stoppés. Dans ce contexte, les coûts mondiaux ont commencé par chuter parce que la demande qui était forte au départ a commencé par se raréfier. Certains producteurs avaient des quantités qu’ils ne pouvaient plus écouler aux prix qu’ils avaient obtenus en début de campagne.

Nous avons vu que la Chine a rouvert ses frontières et que les navires circulent à nouveau. Ceux qui avaient des stocks ici ont commencé à l’évacuer. Donc, il n’y a aucun doute que la production ne restera pas sur le bras des producteurs. Cependant, tout peut changer en positif comme en négatif. Nous souhaitons juste que la production des petits producteurs trouve un marché qui rentabilise leur exploitation.

Selon une étude réalisée par le MAEP relative à l’impact de la COVID-19 sur la filière agricole, il est mentionné que le prix du sac de soja est passé de 22 000 f à 19000f. Qu’en est-il réellement ?

J’ai contribué à l’élaboration des documents de performance du secteur au niveau du ministère. Nous avons noté de façon globale, un effet sur les produits agricoles à partir des prix parce que l’acheteur qui devrait être disponible et avoir de l’argent n’en avait plus. La demande est devenue faible, l’offre a augmenté et les prix ont chuté. C’est ce qui s’est aussi passé dans les autres spéculations comme le maïs, l’ananas, l’anacarde et le karité. Les quantités qui devraient être exportées vers le Nigéria par voie aérienne sont restées sur les bras des producteurs en raison de la suspension des vols.

L’étude avance également une baisse de 14 % et la fermeture de certaines unités de transformation. Existe-t-il une politique d’accompagnement des acteurs de la filière à montrer de la résilience vis-à-vis de la baisse de prix et de la mévente ?

Nous sommes en train d’élaborer des plans d’atténuation des effets de la COVID 19. Mais, il faut souligner que 14 % de baisse c’est énorme, surtout pour une filière qui entre progressivement dans la stratégie de l’État, dans la résilience en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle, en matière d’amélioration des revenus des acteurs et des femmes principalement. Nous y avons pensé et notre politique en matière de planification c’est d’intensifier la production et la transformation locales du Soja. Ne pas toujours espérer que le marché international vienne tout prendre.

Patrice Sewadé remettant des documents du contrat farming signé avec 12 coopératives en juillet 2020

 

Comment intensifier la transformation dans un pareil contexte de crise sanitaire ?

Il faut maintenir le rythme de la production donc nous travaillons à amener les acteurs à adopter les attitudes anti COVID-19 pour mieux produire. Ils sont actuellement en pleine production. Nous encourageons ces producteurs en leur apportant l’information pour leur faciliter l’accès à des semences de qualité et aux intrants comme les inoculum. Il leur était difficile de quitter leur localité lointaine pour s’approvisionner en semences certifiées. Nous avons alors décentralisé les points d’approvisionnement et leur avons offert des facilités pour qu’ils puissent en prendre, produire et payer progressivement. Il est important de savoir profiter de la crise pour intégrer dans le concept des acteurs l’utilisation des produits de qualité en les prenant sous forme de crédits en nature. Les institutions financières aujourd’hui n’ont plus d’argent pour prendre le risque d’aller dans le secteur agricole. À défaut d’emprunter auprès des institutions de micro crédit pour les semences, nous travaillons avec les multiplicateurs pour que le dispositif de disponibilité de ces semences soit effectif sous la forme d’un contrat ou d’un accord qui stipule qu’à l’issue de la production le producteur puisse rembourser le crédit intrant.

Comment parvenez-vous à mettre l’inoculum à la disposition des producteurs sachant que le Togo, principal fournisseur n’a toujours pas ouvert ses frontières ?

Le Togo est l’un de nos fournisseurs. Sinon, nous avons des unités sur place notamment le laboratoire du Professeur Pascal HOUINGNADO de l’Université d’Abomey-Calavi qui vient en renforcement pour satisfaire la demande. Face à la demande qui est actuellement très forte, il a pris des mesures pour rendre disponible. Mais jusque-là, il n’y a pas eu de déficit peut-être parce que nous sommes encore en début de semis. La demande pourrait se renforcer davantage du fait de la fermeture de la frontière du Togo.

 De 164 600 tonnes au cours de la campagne 2018-2019, la production est passée à 275 000 tonnes en 2019-2020. Qu’est-ce qui explique ce bond ?

C’est le génie béninois, la confiance que le gouvernement a fait aux acteurs, c’est le cadre légal et règlementaire qui est mis en place. Il faut dire que la production est partie de façon graduelle. Il n’y avait pas de mot du gouvernement sur la filière soja. Donc tous ceux qui en produisaient le faisaient comme dans l’informel. Il n’y avait pas de structure pour évaluer la quantité produite et la quantité commercialisée. Les informations qui existaient provenaient d’individu parce que la statistique nationale n’avait pas intégré la filière soja dans les lignes de spéculations sur lesquels il faut collecter les données. Mais lorsque le gouvernement met en place une direction nationale des statistiques agricoles, que dans son plan d’action il cible les filières à haute valeur ajoutée et de diversification, et donne une place à cette filière qui avait été ignorée, le soja en l’occurrence, affirme que la filière est désormais une filière stratégique greffée sur un pôle et portée comme une filière locomotive, et cela pour montrer son intérêt aux acteurs qui semblaient travailler dans l’informel ; lorsque nous travaillons à convaincre les partenaires techniques et financiers pour appuyer la filière soja, les acteurs sont alors motivés à produire. Parce que les technologies ont été mises au point par l’appui des partenaires, les stratégies ont été développées, les acteurs ont été mobilisés, organisés et il y a eu un début de structuration et nous avons aujourd’hui une union nationale des producteurs de soja. Lorsque nous avons tout ça et que le gouvernement décide d’organiser à l’instar du coton et d’autres spéculations, une campagne nationale de commercialisation, alors tout le monde se met à semer. Parce que les gens semaient, mais ne savaient pas où vendre. Donc tout cela a conduit à un boom dans la production, les gens s’y sont mis et ont eu des attitudes plus sérieuses.

Les superficies emblavées ont alors augmenté ?

En effet, mais je ne saurais avancer des chiffres puisque nous ne sommes pas un service de statistique. Nous travaillons cependant avec la direction nationale de la statistique agricole pour confirmer ou infirmer certains chiffres. Ils sont à leur début, nous devons donc mener la veille. Quoiqu’avec un rendement moyen de 700 à 1200 kg à l’hectare, on peut estimer à 200 000 ha la superficie emblavée. Certains producteurs arrivent à produire jusqu’à 3 tonnes à l’hectare notamment dans les localités de Dassa et Djidja.

L’association Sojagnon remettant des équipes à des transformatrices du soja en mars 2019

Qu’est-ce qui explique cette grande différence ?

Pour ces producteurs, il faut reconnaitre qu’ils travaillent en conditions contrôlées. Ce sont des producteurs pilotes, des producteurs leaders. Tous les producteurs n’adoptent pas les bonnes pratiques, ils n’entretiennent pas leur culture de la même manière. On peut comprendre que ceux qui respectent les itinéraires techniques et utilisent des semences de qualité parviennent à 3 tonnes à l’hectare. Ces semences sont disponibles actuellement. Puisque nous avons mis au point 5 variétés de semences alignées aux technologies de transformation et chacune d’elle est prouvé performante avec un rendement de 2,5 voire 3 tonnes à l’hectare, à condition que le producteur soit en condition de produire selon les itinéraires techniques en termes de densité de semis, de nombre d’entretiens et de récolte bien organisée.

Quelles sont à l’heure actuelle les perspectives pour cette filière qui en une saison est pratiquement passée au double de son rendement ?

Vu que l’État a enclenché la structuration des acteurs, la première perspective c’est qu’on parvienne à une organisation plus unifiée. Une filière qui se développe de la sorte suscite des dissidences et des mouvements parallèles. Certains pensent à tort qu’il y a des jeux d’intérêt. On devrait avoir un cadre de concertation pour discuter de leur problème et être leur interlocuteur. Cela faciliterait aussi la collecte des informations pour les statistiques. En termes de production, les acteurs doivent être organisés et continuer à produire. Le résultat que nous avons obtenu actuellement dépasse les objectifs de 2021. Et nous sommes capables de produire au-delà si les événements de la COVID-19 n’influencent pas plus la demande internationale, puisque la demande des industries locales est satisfaite déjà. Nous envisageons par ailleurs de faire installer de nouvelles unités de transformation de soja en aliment riche en protéine et de passer de la transformation artisanale à la transformation industrielle.

Ne pensez-vous pas que cette quête de grand rendement ne pourrait amener des producteurs à abuser des intrants ?

Le soja n’est pas une culture dépendante d’intrant et on n’a pas besoin d’utiliser de fortes doses d’engrais chimiques. C’est une légumineuse qui fertilise le sol et on a juste besoin de quelques kilogrammes d’intrant pour stimuler la croissance. Et les engrais recommandés sont le potassium qui est utilisé à une certaine période de l’année pour le développement de la plante. Certes, nous ne contrôlons pas systématiquement les producteurs cependant, il y a un protocole de production connue de tout le monde. Il s’agit d’une fiche technique validée, approuvée et adoptée par eux même qui a fait l’objet des champs de démonstration. Ils sont allés sur le terrain, ils ont vu les quantités qui ont été appliquées sur-le-champ et ils apprécient par eux même. Donc, plus ils mettent d’intrants, plus ils perdent de l’argent.

Selon des informations récentes, la Chine est l’une des nouvelles destinations du soja béninois. Qu’en est-il réellement ?

Nous devons remercier la diplomatie du Bénin en ce moment. Il y a eu un grand lobby. La Chine est un grand consommateur de tous les produits, dont le soja. Elle ne consommait pas formellement le soja du Bénin. Mais le gouvernement  à travers le ministère des Affaires étrangères et les ministères sectoriels de l’agriculture, du commerce et des PME ont obtenu pour les opérateurs économiques du Bénin, une facilité à entrer en contact avec les acheteurs et les industriels de la Chine pour leur approvisionnement en soja. Un protocole d’accord a été signé renseignant les exigences et les documents à obtenir pour pouvoir exporter le soja. Nous avons travaillé dans un groupe pour affiner ces mesures. Nous avons enregistré un certain nombre d’entrepreneurs, d’opérateurs qui se sont mis à la tâche pour conquérir le marché de la Chine. Il faut noter qu’il est difficile pour les opérateurs béninois de respecter les mesures pour entrer en Chine. Ce n’est que les Chinois eux-mêmes et les Indiens qui prennent sur eux, la responsabilité d’engager les procédures et de pouvoir les respecter pour venir acheter ici. Ils ont formé des Béninois pour être des acheteurs à leur compte. Comme il y a un accord entre l’opérateur et l’acheteur chinois, ce dernier effectue toutes les demandes, les transmet à l’opérateur d’ici qui obtient les documents du Bénin pour sortir le produit. C’est aussi l’occasion pour eux de discuter avec les producteurs sur la qualité de produit que les exportateurs recherchent. Tout est tracé de sorte que si votre production n’a pas obtenu le certificat de contrôle de l’ABSSA, ou que vous ne remplissez pas des fiches en ligne au ministère du Commerce, vous ne pouvez pas obtenir des documents pour passer à la douane, le GUFE, ou Bénin Control avant l’exportation. C’est la présence de tous ces accords qui font que ces exportateurs ont la facilité d’exporter avec transparence la production du soja du Bénin.

Les résultats de cette campagne nous donnent un poids important de la contribution de la filière soja à l’économie nationale par les exportations. Le Bénin pour la première fois dans l’histoire a exporté près de 240 000 tonnes de soja vers les pays de l’Asie, de l’Europe ou de l’Amérique pour une production d’environ 275 000 tonnes. On n’a jamais enregistré cela auparavant. En 2005, nous étions à 5000 tonnes. On ne peut que s’estimer très heureux parce que les ministères sectoriels et le ministère de tutelle s’activent pour une bonne organisation des acteurs de la filière.

 

Propos recueillis par André Tokpon

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